Penser la démocratie

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 28 février 2010

Il y eut l’affaire Jean Sarkozy : sa nomination par son père à la tête de l’Établissement Public d’Aménagement de la Défense était tellement arbitraire que l’opinion s’en est émue (voir encadré ci-dessous) et, contre le soutien des godillots de la république “modernisée”, elle a finalement été entendue.

En décembre dernier, notre gouvernement était tout aussi unanime pour justifier les prétentions d’Henri Proglio, qui, passant de la direction de Véolia à celle d’Électricité de France, entendait ne pas voir ses revenus baisser. Toute la Cour sarkozyste l’a soutenu : depuis le Premier Ministre, François Fillon, qui expliqua que ses vertus irremplaçables justifiait un salaire aussi élevé, jusqu’à la Ministre de l’Économie et des Finances, Christine Lagarde, qui fit valoir que ce pauvre malheureux, avec un salaire de deux millions d’euros à Véolia, gagnait déjà moitié moins que la plupart de ses homologues des autres pays (entendez états-uniens, surtout). Il a été, bien sûr, défendu aussi par ses semblables, tel ce PDG d’une grande banque, à qui un journaliste demandait s’il ne trouvait pas exagérées ces énormes disparités de salaires, et qui répondit qu’elles sont tout à fait justifiées, en prenant exemple sur les sommes que perçoivent certains footballeurs… dont le talent serait donc comparable à celui de Proglio !! Celui-ci a même reçu un soutien qu’on n’attendait pas, celui du secrétaire général de la CGT [1].

Dans ces deux cas, l’opinion ayant été informée, l’affaire a fait du bruit. Des voix indignées ont fini par être entendues. Jean Sarkozy continue donc, peut-être, c’est de son âge, ses études de deuxième année de Droit. Et le salaire qu’Henri Progio recevra d’EDF ne sera pas 170 fois plus élevé que celui d’un de ses employés, mais “seulement” 130 fois. Une autre histoire a fait moins de bruit dans les grands médias, mais est tout aussi exemplaire : celle du projet d’installer un circuit de courses automobiles de Formule 1, à Flins, dans les Yvelines. On en trouvera plus loin dans ces colonnes le témoignage de Fabienne, une militante locale. Retenons que, quelques citoyens s’étant pris en main, la résistance a pu s’organiser pour défendre la population et son environnement contre de gros appétits dévastateurs. Dans cet exemple, c’est la démocratie participative, donc au niveau local, qui l’a emporté, au moins provisoirement.

Mais, comme le rappelle Bernard Vaudour-Faguet, enseignant en géographie, en évoquant un exemple peu banal, celui des chèvres de Mongolie, les gravissimes problèmes soulevés par la crise actuelle, à la fois d’ordre économique et financier, social et écologique, se situent maintenant à l’échelle mondiale.

Leur solution ne peut donc être trouvée qu’au niveau de la planète.

Or le Sommet de Copenhague vient de montrer l’incapacité des Grands Décideurs à les aborder. Alors que cette réunion au sommet était présentée comme émanant des “démocraties” aujourd’hui pratiquées au niveau des États, elle n’a été en mesure ni de prendre la moindre inititive sérieuse pour empêcher l’industrie humaine d’accélérer la dégradation de l’environnement et le pillage des ressources naturelles, ni d’aborder la question de la répartition des richesses, qui est scandaleuse comme Sophie Perchellet le démontre ci-dessous à propos de Haïti.

Il faut bien en conclure que c’est l’institution démocratique qu’il s’agit de repenser (panser ?), et d’instaurer dans tous les domaines, jusqu’au niveau mondial.

C’est à cette réflexion que Guy Evrard, alerté par la lecture de philosophes auxquels il fait sérieusement référence, voudrait amener nos contemporains. Réflexion difficile, certes, une vraie gageure, mais elle est absolument nécessaire.


[1soulevé par F.Lemaître dans Le Monde, Voir Fil des jours GR 1105, janvier 2010.