A vous de juger
par
Publication : décembre 1997
Mise en ligne : 2 décembre 2005
Une autre forme de manifestation de cette même peur relève de la politique de l’autruche : on refuse de voir, d’entendre, de lire.
Pour Denis Clerc, directeur du journal Alternatives économiques (sic !!), il faut continuer la lutte pour que le travail « devienne moins précaire ». C’est pour lui une lutte « difficile mais pas irréaliste ». Apparemment, il n’a pas compris l’enjeu, pas vu venir ce qu’on appelle encore la crise. Il devrait donc mieux lire André Gorz, et le méditer sans a priori.
Mais voici deux exemples de la façon dont D. Clerc a lu le livre Misères du présent, Richesse du futur, qu’il commente sous le titre Désaccords dans son numéro d’octobre :
A. Gorz intitule Tous précaires un paragraphe de son second chapitre Derniers avatars du travail ; il y montre p.90 que « nous sortons de la société de travail sans la remplacer par une autre... Nous nous...sentons... tous... précaires...en puissance. Mais ce que chacun de nous sait ne devient pas encore... conscience commune à tous de notre commune condition. Conscience commune... de ce que la figure centrale et la condition “normale”... ne sont plus celles du “travailleur” mais celle du précaire qui tantôt “travaille” et tantôt ne “travaille” pas, exerce de façon discontinue de multiples métiers dont aucun n’est un métier... mais considère comme sa “vraie” activité celle pour l’exercice de laquelle il se dépense dans les intermittences de son “travail” rémunéré ». Et pourtant, D.Clerc prétend :« Il faut attendre une parenthèse pour que, p.97, l’auteur précise que ce qui tend à se faire rare, c’est l’emploi “rémunéré, stable, à plein temps ».
De même, D.Clerc écrit :« Dans aucun des pays industrialisés, l’emploi global n’a diminué depuis vingt ans. Il a progressé partout (André Gorz le reconnaît d’ailleurs page 152)... ». Or voici ce qui est écrit page 152 :« Le volume annuel total du travail, quoiqu’en voie de contraction, est redistribué sur un nombre croissant d’actifs (statistiquement, le nombre d’emplois continue d’augmenter) mais de manière telle que personne n’est plus sûr de rien : les actifs craignent de perdre leur emploi (plus du tiers a déjà connu des périodes de chômage au cours des années récentes ; un sur six renonce à trouver un emploi et ne figure plus dans les statistiques), pour environ la moitié des actifs (et bientôt pour a majorité) les notions de durée du travail normale et de réduction du temps de travail n’ont plus de sens ».
Est-ce que, oui ou non, André Gorz prétend que l’emploi global a progressé partout, quand il écrit que le volume de travail est en voie de contraction et redistribué sur un nombre plus grand d’actifs qui donc travaillent moins ?
Denis Clerc a du mal à lire ce qu’il refuse de savoir. Il m’a dit un jour qu’entendre parler d’économie distributive lui donnait des boutons. Qu’il se méfie, il va en être couvert !