Le rapport Stiglitz

Un diagnostic lucide, une méthode discutable, et des propositions… qui ne sont pas à la hauteur des enjeux
À propos de la commission Stiglitz
Mise en ligne : 31 juillet 2009

La “Commission pour la mesure de la performance économique et du progrès social”, mise en place en 2008 par le Président de la République et présidée par Joseph Stiglitz, a mis en ligne le 2 juin un rapport provisoire, afin de recueillir des réactions publiques.

Le réseau FAIR (Forum pour d’Autres Indicateurs de Richesse) le commente :

Le principal atout de ce rapport réside dans la remise en cause du Produit Intérieur Brut (PIB) en tant qu’indicateur de performance et de progrès.

De multiples collectifs citoyens et réseaux de recherche, dont FAIR, dénoncent depuis des années l’usage de cet indicateur pour piloter nos sociétés. La Commission légitime aujourd’hui leurs critiques : le PIB, centré sur la production et la consommation marchandes et monétaires, ne prend en compte que certaines activités, ignore les effets prédateurs du productivisme et de la dérégulation sur la vie sociale et sur l’environnement. Il compte positivement des activités néfastes ou qui ne font que réparer des dégâts d’origine humaine. Il est indifférent à la mise en cause des biens communs vitaux (eau, air, sol, ...) et à la violation des droits fondamentaux de milliards de personnes qui en résulte. Il a été incapable de nous alerter sur l’existence et l’aggravation des crises sociales, écologiques, économiques et financières. Il nous a aveuglés et rendus collectivement insensibles aux dérives de notre modèle de développement.

Nous saluons donc cette avancée notoire en termes de diagnostic, de même que l’accent mis sur les inégalités, sur les enquêtes de budget temps, ou sur la nécessité de valoriser les contributions positives des services publics.

Nous critiquons par contre la méthode de travail de la Commission, qui n’a ouvert aucun véritable dialogue avec les autres acteurs de la société civile. La mise en ligne, pour un temps très court, d’un texte complexe exclusivement rédigé en anglais ne peut tenir lieu de débat public.

Nous mettons aussi en question le profil d’une commission composée d’économistes. Comme si définir le progrès sociétal et s’interroger sur sa mesure pouvaient relever des compétences d’une seule spécialité. L’ampleur des défis et la complexité des sujets à traiter imposent la pluridisciplinarité et un nouveau rapport à l’expertise intégrant l’expérience vécue de tous les membres de la société. Il ressort de ces travaux des propositions principalement économistes qui réduisent souvent les principaux enjeux planétaires à des consommations intermédiaires, des investissements, du capital brut ou net… et dont plusieurs aspects nous alarment. Sont ainsi absentes du chapitre sur le développement durable : la qualité de vie et la qualité des sociétés, la prise en compte des questions démocratiques, la diversité sociale et culturelle, la lutte contre les inégalités.

Le rapport survalorise l’Épargne Nette Ajoutée (ENA) issue des travaux de la Banque Mondiale. Or, cet indicateur est à bannir des futurs repères-clefs. Il est exclusivement monétaire, incompréhensible pour les non-spécialistes, inadapté à la décision politique, inacceptable dans sa façon de rendre interchangeables trois formes de capital : “économique” (issu de la production), “humain” (abordé via les seules dépenses d’éducation), “naturel” (limitant les dommages écologiques aux seuls aspects climatiques).

Plus globalement, le rapport ne présente aucune perspective permettant à la société de se mettre d’accord sur la notion de progrès. Il ne suggère aucune piste pour débattre démocratiquement d’un nouveau projet de société visant le bien-être pour tous, ensemble, dans un environnement préservé et partagé, et pour inventer collectivement les instruments de son pilotage.

À ce stade, nous estimons que ce rapport est certes l’une des contributions à mettre au débat, mais qu’il ne peut constituer la nouvelle référence pour sortir de la dictature du PIB. Il est urgent que la société se mobilise pour « définir le monde que nous voulons » (A. Sen), puis pour construire les nouveaux indicateurs dont nous avons besoin.

Il est urgent que les citoyens soient invités, via les instances consultatives existantes mais aussi de façon plus large, du local à l’international, à délibérer sur ces questions d’intérêt collectif, ainsi que le recommande le récent rapport du CESE (Conseil économique, social et environnemental).


Note résumée du Collectif FAIR , 22.06.2009.

La version complète est en ligne sur la page www.idies.org/index.php?category/FAIR.