Mais si, ça bouge !
par
Publication : mars 1987
Mise en ligne : 21 juillet 2009
Des lecteurs, pessimistes, écrivent : "Vos
analyses et vos propositions sont judicieuses, mais il n’y a rien à
faire pour qu’elles soient comprises : l’opinion publique est trop conditionnée
par les "gros" média, elle est passive, elle gobe tout
et n’évolue point".
Eh bien, je viens d’avoir la preuve du contraire. Ayant passé
plusieurs semaines aux Etats-Unis, j’ai cessé pendant ce temps
de suivre l’actualité en France. Surprise au retour : ça
a nettement bougé !
En Novembre dernier, tout le monde pensait qu’on pouvait
imposer aux étudiants une n ème réforme de l’enseignement.
En Décembre, le mouvement des lycéens et des étudiants
a stupéfié par sa détermination : pas de sélection,
et surtout pas par l’argent !
Bien des "distributistes" nous disent souvent : "surtout
ne parlez pas d’égalité économique. Il faut, même
en économie distributive (*), rémunérer le zèle
et l’esprit d’initiative, il faut ajouter un "revenu d’émulation"
car sinon l’opinion publique ne vous suivra jamais". Or, juste
après les manifestations étudiantes, un mouvement spontané,
lui aussi inattendu, s’est répandu comme un trait de poudre :
la grève des agents de conduite de la SNCF. S’agissait-il d’une
grève comme celles qu’organisent les syndicats pour des revendications
salariales ? Non. Les jeunes agents de conduite manifestaient leur refus
d’une grille qui aurait justement permis de diversifier les salaires
selon "le mérite"... "Ce que nous voulons d’abord,
déclarait un délégué à la coordination
nationale, c’est que la direction ouvre des négociations sur
l’égalité dans le déroulement des carrières
et les conditions de travail".
Enfin c’est un mouvement semblable qui s’est amorcé chez les
instituteurs, refusant que certains d’entre eux aient accès à
un statut de "petits chefs".
Alors, réveil social ? Ces mouvements, pourtant, ne proviennent
que de salariés du secteur public. Ceux du secteur privé
ont trop peur de perdre leur emploi pour oser revendiquer. On peut toutefois
noter qu’ils n’ont pas tellement suivi les politiciens les incitant
à manifester contre les grévistes, malgré la gêne
évidente que ces grèves des transports publics étaient
pour eux.
On ne peut pas prévoir comment va évoluer une société
en pleine instabilité. Mais ces mouvements peuvent faire espérer
que l’opinion cesse d’être dupe quand on lui explique que la "rigueur"
est indispensable de la part des salariés, tandis que la bonne
marche de l’économie oblige à privilégier... ceux
qui sont déjà privilégiés (**).
Autre preuve d’évolution : un pays du Tiers-Monde, le Brésil,
vient tout simplement de refuser de payer les intérêts
de ses dettes aux banques du pays qui impose son modèle au monde
occidental, malgré un déficit et une dette extérieure
colossaux... et des exactions contre le Nicaragua qui sont une atteinte
intolérable _ mais rarement dénoncée (***) _ aux
droits de l’Homme.
(*) voir page 15
(**) voir les chiffres de l’encadré ci-contre
(***) lire "La Longue guerre occulte contre le Nicaragua"
par I. Ramonet dans le "Le Monde Diplomatique" de Février
1987.