Nourriture et santé
par
Publication : janvier 1988
Mise en ligne : 16 juillet 2009
La longue étude de René Marlin "Consommateurs
de tous les pays, unissez-vous !" (1) nous apporte beaucoup de
renseignements mais contient aussi quelques affirmations contestables.
Pour René Marlin, la transformation des aliments par l’industrie
semble aller de soi. Cette transformation est effectivement heureuse
lorsque le produit obtenu maintient ou améliore la santé
du consommateur. Ce n’est pas toujours le cas. L’abandon pur et simple
des fabrications néfastes ou inutiles, très nombreuses,
épargnerait bien davantage de travail que leur automatisation,
sans parler des progrès de la santé générale.
Les résultats obtenus par les gens qui s’efforcent d’éliminer
tout aliment douteux le prouvent amplement. Et parmi les aliments douteux
figurent aussi les produits de l’agriculture chimique. Nous avons même,
à leur égard, plus que des doutes !
Bien sûr, la vie repose sur de la chimie, mais elle n’est pas
que cela. Et pas n’importe quelle chimie !
Les grandes épidémies ont disparu de nos pays. Mais elles
ont été remplacées par les maladies dégénératives
: allergies, arthroses, cancers, maladies nerveuses et surtout cardio-vasculaires...
sans oublier le SIDA. Et leur essor coïncide bizarrement avec celui
de l’agrochimie...
A l’actif de la chimie agricole figurent les records de production.
Mais à quoi bon si ces records s’accompagnent d’une série
de traitements dangereux ; si leur durée même n’est pas
garantie ? Car les rendements augmentent avec l’emploi des engrais chimiques
jusqu’à un certain point. Ensuite, ils deviennent stationnaires,
puis commencent à baisser. Et que dire de la pollution des eaux
par les nitrates ? de la ruine de l’outil de travail, de la disparition
de l’humus, sans lequel il n’est plus de sols ? Ravins d’érosion
de plusieurs mètres, non pas en région tropicale, mais
dans le Nord de la France, département pionnier en matière
d’agriculture "moderne" (2)...
Substance noirâtre issue de la décomposition des matières
organiques, l’humus est le matériau indispensable à la
fertilité d’un sol et à la qualité de ses produits.
Un sol fertile est un organisme vivant et doit être traité
comme tel. Il ne saurait davantage se réduire à la fameuse
trilogie NPK (azotephosphore-potasse), ensemble d’éléments
majeurs, certes, mais qui ne saurait faire oublier les autres minéraux,
y compris les nombreux oligo-éléments. Ces derniers agissent
en quantité très faible, mais leur absence peut entraîner
de graves perturbations chez les plantes, les animaux et les humains.
La découverte ne fait sans doute que commencer. Mais on a déjà
identifié un certain nombre d’éléments protecteurs,
par exemple : silice, cuivre, magnésium, etc...
Dans le numéro spécial de "Science et Avenir",
"La ferme de l’An 2000", le Docteur C. Rouaud déplore
la carence de ce dernier dans les sols. Or, elle le cite comme un élément
protecteur essentiel... Ce qu’avait montré Delbet il y a déjà
longtemps. L’équilibre minéral suffirait-il à maintenir
la santé ? Les recherches ultérieures le diront. Mais
il apparaît déjà comme une condition indispensable.
Il faut partir de l’observation de la nature : en l’absence de tout
traitement, on constate la présence de végétaux
indemnes, à côté d’autres attaqués par les
maladies ou les parasites. Certaines plantes bénéficient
effectivement d’une résistance naturelle, qu’elle soit due à
l’équilibre minéral ou à d’autres facteurs. C’est
à partir de ces plantes qu’on a pu créer des lignées
résistantes par sélection et hybridation. Ces techniques
représentent donc un progrès lorsqu’elles ne s’appliquent
pas au seul rendement. De même, la chimie a sa place dans l’analyse
comparative des plantes saines et des plantes malades, comme dans celle
des sols. C’est ainsi que, sans exclure d’autres méthodes d’analyse,
elle servira l’essor d’une agriculture vraiment moderne.
Et les machines ? Bien sûr, elles ont permis une accélération
de la productivité. Mais, selon les agriculteurs, les journées
de travail sont à peine moins longues : l’exode a dépeuplé
les campagnes et il faut rester là pour servir les machines !
Seuls, les grands céréaliers qui ont abandonné
l’élevage et exploitent quelques centaines d’hectares connaissent
vraiment les loisirs, sans parler d’un revenu confortable. Evidemment,
il s’agit davantage d’organisation sociale que de méthodes agricoles.
Mais que ce soit l’une ou les autres, il faut relativiser une fois de
plus ces progrès de la productivité. Pendant que les grands
exploitants s’enorgueillissent de leurs machines, il en est un qui rigole
bien dans sa petite ferme du Japon (encore lui !). En s’abstenant de
tout labour depuis plus de 25 ans et avec 10 jours d’arrosage, il récolte,
affirmet-il, 59 quintaux/hectare de riz et 59 de céréales
secondaires (et même, parfois, 78 quintaux !). Pour fertiliser,
il fait pousser une légumineuse en couverture du sol, le trèfle
blanc, remet la paille battue sur les champs et ajoute un peu de fumier
de volaille. Cet homme, c’est Masanobu Fukuoka (3). Lé travail
se réduit pratiquement aux semailles, à là moisson
et au battage. Et il peut être encore réduit en mécanisant
ces opérations, même sommairement (pas de repiquage).
Il reste à savoir dans quels pays on peut utiliser la méthode
de Fukuoka. Mais elle laisse pantois : de quel côté est
le progrès ? Car ces plantes ne sont guère sujettes aux
attaques.
Cette méthode peut être rangée dans l’Agriculture
biologique.
L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE
Nous avons déjà fait une série d’article là-dessus
il y a quelques années. Il est bon d’y revenir. Les disciples
de Jacques Duboin doivent savoir reconnaître le vrai progrès.
En dehors de celle de Fukuoka, il existe plusieurs méthodes.
Mais elles reposent toutes sur le rééquilibrage du sol
par des amendements naturels (poudre de roches, algue calcaire lithothamme,
sable, argile...), l’enrichissement du sol en humus par le compostage
en tas ou en surface de tous les déchets organiques, l’utilisation
des engrais organiques et des engrais verts (végétaux
cultivés pour être incorporés superficiellement
au sol).
Les traitements chimiques sont limités aux moins nocifs et, si
possible, évités, de même que les engrais trop solubles
(certains engrais naturels doivent être employés avec prudence).
Il s’agit de faire pousser des plantes assez robustes pour se défendre
toutes seules et apporter la santé aux animaux et aux humains
qui s’en nourrissent. Ce n’est pas toujours facile. Nous en savons quelque
chose ! Des problèmes subsistent, surtout pour les fruits (mais
la solution est peut-être dans la création de variétés
résistantes). Il reste encore beaucoup à découvrir.
Mais de l’autre côté, c’est l’impasse totale : plantes
et animaux affaiblis, parasites résistants, sols ruinés,
comme la santé des consommateurs. Tandis que plusieurs personnes
ont déclaré avoir rétabli ou amélioré
leur santé rien qu’en mangeant les produits de leur jardinage
biologique. Les rendements de l’agrobiologie peuvent être inférieurs,
tout en restant suffisants. Ils sont souvent comparables ou même
supérieurs et pas seulement chez Fukuoka. Les agriculteurs du
Burkina Faso (l’ancienne Haute-Volta) ont décelé la nocivité
des engrais chimiques plus vite que les Européens et un vaste
programme d’expérimentation et d’enseignement des méthodes
biologiques a aussitôt été mis en place à
la suite de l’expérience de Pierre Rabhi à Gorom-Gorom
(4). Voilà pour la faim dans le Monde... Espérons que
le nouveau Gouvernement du Burkina Faso continuera l’expérience
et l’enseignement.
(N.B. : nous donnons une fois pour toutes à "biologique" le sens de "logique de la vie" ou "conforme à cette logique").
P.S. : c’est pour l’Economie Distributive : il ne s’agit
plus de savoir si on y viendra ou non, mais quand et comment.
En Economie Distributive, l’Agrobiologie constituerait la base d’une
politique générale de santé : la véritable
prévention, avec la pureté de l’eau et de l’air !
Plongez-vous dans le livre de Fukuoka : il se lit comme un roman ! (malgré
quelques imprécisions parfois).
Associant le meilleur de la tradition aux découvertes les plus
récentes, l’agriculture biologique est la véritable agriculture
scientifique et non une méthode passéiste. Curieusement,
Fukuoka l’oppose à l’agriculture scientifique, alors que sa propre
démarche est beaucoup plus rationnelle.
(1) G.R. n’ 856, de mai 1987
(2) Science et Avenir, de février 1983
(3) Voir "La Révolution d’un seul brin de paille".
de G. Trédaniel, édit. de la Maisne.
(4) Voir "Nature et Progrès", de septembre 1987.