Tout va très bien...
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Publication : janvier 1988
Mise en ligne : 16 juillet 2009
Dans notre article de la Grande Relève de Décembre "Ça krach", nous disions : "Il n’est pas facile, en écrivant cet article plus d’un mois avant sa parution, de mesurer quel sera son degré d’actualité lorsqu’il parviendra au lecteur de la Grande Relève... Mais le jeu du yoyo va continuer".
Effectivement, en ce qui concerne la crise boursière, le jeu
du yoyo n’a cessé depuis un mois. C’est un vrai festival en noir
et blanc (quelquefois gris) que nous servent les médias, traduisant
l’état d’esprit de la grande famille boursière. Par exemple :
"Lundi gris (30 nov.) à New-York" titre Le Monde du
2 décembre. Depuis un mois, les valeurs, le dollar se sont souvent
"redressés", mais ça ne dure jamais longtemps.
Ainsi, entendu à la radio, le 4 décembre : "Le dollar
replonge... On est reparti pour un tour de baisse de première
grandeur... Nouveau vendredi noir à la Bourse, la baisse des
taux d’intérêt européens n’a servi à rien...
Les valeurs françaises sont très. très, très
(sic, J.P. Gaillard) touchées, certaines se repliant (le joli
terme) de 8 à 12,5 %, etc.". N’alourdissons pas notre propos
par ces discours insipides dont on nous rebat les oreilles chaque jour
depuis le début de la crise boursière. Il fallait être
bien naïf pour croire à la pérennité de la
remontée qui avait suivi l’amélioration d’un milliard
de dollars du déficit commercial U.S. d’octobre, ou celle consécutive
à l’accord entre Reagan et le Congrès pour réduire
le déficit budgétaire de 75 milliards en 2 ans (une goutte
d’eau dans un océan de dettes !), ou encore celle due à
la baisse concertée des taux d’intérêt européens
(le 4 décembre, on annonce une nouvelle baisse du dollar en précisant
que cet effort des européens a produit l’effet contraire à
celui qu’on escomptait ! ! !). Oculus habent et non videbunt. Le mal
est ailleurs, bien plus profond, "structurel" pour parler
comme les experts. Malheureusement, comme nous le prévoyions
dans l’article déjà cité, la crise financière
va renforcer la crise économique. Depuis un mois, nombreux sont
ceux qui abondent en ce sens, dont Messieurs Barre et Rocard et Madame
Weil (à 7 sur 7). Les salariés vont payer, car, dans les
mois à venir, le yoyo va continuer et la crise économique
s’aggraver. Dans "Le Monde" du le, décembre, Paul Fabra
note que la "crise boursière est encore dans sa première
phase".
Tout le monde stigmatise l’Amérique. Parmi les pays industrialisés,
singulièrement le Japon et l’Allemagne sont sommés par
l’administration Reagan d’aider l’Amérique en baissant leurs
taux d’intérêt : un véritable plan Marshall à
l’envers des vaincus de 1945 ! Exécution et... peine perdue,
nous l’avons vu plus haut.
DESARMEMENT
Pendant ce temps, on amuse le tapis, en France, avec le "scandale"
des ventes d’armes à l’Iran. Scandaleuse hypocrisie, oui ! Tout
le monde sait ce qu’il en est. Tous les pays vendent des armes à
l’Iran (voir G.R. n° 857, juin 1987). Et, n’en doutons pas, tous
pensent, à propos de la guerre IranIrak : "Pourvu que ça
dure". Et pendant qu’on se livre à ce fabuleux gâchis,
on sollicite le bon peuple pour envoyer une obole pour la recherche
sur le cancer (Alain Delon chaque jour à la télé),
le SIDA (Line Renaud), la myocardie (Jerry Lewis et le téléthon)...
Quand on sait que le prix d’un seul avion de Dassault - qui allait débaucher,
mais vient "heureusement" de prendre une grosse commande pour
l’Irak - représente "n" fois ce que sera la récolte,
on rage d’impuissance à ne pouvoir dénoncer ce vrai scandale
au grand public. Hélas la Grande Relève doit convaincre
avec de faibles moyens, alors que les médias (riches !) se contentent
de séduire. Je ne sais où j’ai lu ou entendu cette très
belle réflexion : "Le monde sera beau quand les canons dormiront
sur des fleurs".
Et puis, voici l’hiver, voici le froid... Noël. Alors, à
nouveau, on fait appel au coeur, à la charité : on médiatise,
comme chaque année, l’Abbé Pierre, les "restos du
coeur". Bien sûr, c’est mieux que rien pour ces pauvres gens
démunis, privés d’emploi, de ressources, voire de logis.
Mais là encore, quel abus, quelle hypocrisie quand on sait ce
qu’on détruit ou neutralise, quand on vient d’apprendre que.
dans les prochaines années, 5 millions d’hectares devront être
abandonnés par l’agriculture car "il y a trop de production"
(sic à la Radio). A notre époque de progrès, les
oeuvres caritatives devraient être reléguées au
musée de l’Histoire (1).
COMMERCE EXTERIEUR
De plus en plus déficitaire, du fait notamment de la balance
industrielle, puisque la balance agricole est excédentaire. C’est
que beaucoup d’industriels, et non des moindres, préfèrent
investir leurs bénéfices en Bourse plutôt que dans
leurs usines. C’est égal, le Ministre Michel Noir ne broie pas
du noir. "Il faut garder le moral" dit-il. Il y a quelques
mois, il affirmait déjà avec conviction (?) que le résultat
de 1987 serait plus proche de zéro que des 3 milliards de déficits
prédits par quelques experts sérieux et dérangeants.
Or, à fin octobre, le déficit est de... 31 milliards.
Bravo. Tout va très bien.
PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES (charges sociales + impôts)
On sait qu’ils avaient augmenté en moyenne d’un point chaque
année sous Giscard ; de même sous les Socialistes. On se
souvient des discours de la droite avant les élections de 1986
et même après. Las, depuis quelques mois, il a fallu déchanter,
se rendre à l’évidence. On nous a annoncé, il y
a quelque temps, que les PO allaient augmenter de 0,3 à 0,4 "/o.
Ah ! quand on est aux affaires, on se rend compte que les faits ont
la tête dure.
Nous, distributistes, savons que l’accroissement des prélèvements
obligatoires est la condition sine qua non de la survie du régime
de marché. Dans un monde où la production, de plus en
plus mécanisée, robotisée, supprime des emplois ;
dans un monde où le tertiaire - non productif de biens matériels
- s’est développé en force, comment aurait-on payé
tous ces exclus de la production réelle et fait marcher l’économie
sans ces énormes prélèvements destinés à
être REDISTRIBUES ? Quand comprendra-t-on que les PO représentent
une partie des gains de productivité, l’autre partie étant
destinée au patron (bénéfice + investissement)
? Si ce dernier gardait tout le bénéfice des gains de
productivité, à qui vendrait-il ses produits ? Au cinquième
de la population active que représentent les travailleurs productifs
qui ont gardé leur emploi ?
Il faut s’y résoudre : dans un pays capitaliste industrialisé,
"avancé", en 1987, la plus grande partie des salariés
- et indirectement les professions libérales, les commerçants,
etc... - vivent de la redistribution des PO. Or, on ne peut distribuer
que ce que l’on a d’abord prélevé... précisément
sous forme d’impôts et de cotisations sociales (on est tenté
d’écrire : CQFD, tant c’est simple et évident). Et qu’on
ne s’y trompe pas. Quand on nous objecte qu’en Amérique, les
PO représentent 30 à 35 °% contre près de 50
% en France, c’est que la différence - soins de santé
essentiellement - est à la charge en quelque sorte du salarié.
Et c’est là que l’injustice du "libéralisme"
apparaît : ceux qui ont de l’agent peuvent se soigner sans limites,
tandis que les moins riches, et les pauvres sont contraints de compter.
Société à deux vitesses, santé à
deux vitesses... ce qui nous menace en France si l’on comprend bien
les projets de la droite au cas où elle prendrait tout le pouvoir
pour 5 ans en 1988.
***
Mais à part cela, Madame la Marquise, tout
va très bien, tout va très bien...
Et, amis distributistes, bonne année quand même !
(1) Nous nous réjouissons, bien entendu, de l’accord Gorbatchev-Reagan sur la destruction des armes à moyenne portée en Europe et en Union Soviétique. Mais ce n’est qu’une amorce de désarmement nucléaire : ce qui sera détruit ne représente en effet que 3 % des armes nucléaires dans le monde !