Au fil des jours


par  H. MULLER
Publication : février 1988
Mise en ligne : 16 juillet 2009

1992. L’Europe des profits.
L’heure du tocsin pour une nuée d’entreprises désormais privées de protection, de réglementations qui leur permettaient de survivre face aux concurrences extérieures. Premiers en ligne  : les agriculteurs qui déjà ont lourdement payé tribut, en révolte ouverte contre ce marché commun européen dont ils attendaient monts et merveilles, saoûlés de propagande. Des OPA en veux-tu en voilà, sur les entreprises prospères, leurs personnels livrés au bon vouloir de nouvelles directions, le social sacrifié à la compétitivité, au profit. Avec dix mille kilomètres de frontières et côtes à surveiller, l’Europe, déjà paradis de la fraude, se transforme en passoire.
1992, c’est l’Europe accouchée aux fers, afin d’en finir après trente années d’une laborieuse gestation marquée de mille péripéties hécatombe d’une multitude d’entreprises, un niveau de chômage encore jamais atteint, l’exclusion de millions de marginaux, sextuplement des prix, apparition d’une classe de nouveaux pauvres, décadence des moeurs, dégradation des genres de vie, scandales financiers à répétition, accroissement de la délinquance, délire publicitaire, spéculation frénétique, ampleur des mouvements migratoires, accumulation de surplus, développement de la fraude, des trafics, gaspillages, charges communes en constante augmentation grevant les budgets, hypertrophiés, des Etats membres ligués dans un combat sans merci contre l’abondance, un combat indispensable au fonctionnement du marché...
1992 : la naissance d’une Europe bordélique, proie pour les multinationales, lupanar économique au service exclusif du profit.

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La défense européenne. Intervenant à point nommé, les accords américano-soviétiques sur le retrait du "parapluie" américain en Europe, ont relancé le vieux projet d’une communauté européenne de Défense, sabordé en 1953. Projet qui fait aujourd’hui saliver le haut gratin des fournisseurs et marchands de matériels d’armements que la force française de dissuasion avait déjà singulièrement enrichis. Quand l’armement va, tout va : sidérurgie, industrie minière, infrastructures, soustraitance, recherche et bureaux d’études, emplois et profits avec d’importantes retombées sur la consommation, sur le commerce.
Démentie pourtant par les faits, la soi-disante menace, brandie à tout propos, d’une agression soviétique sur l’Europe, qui sert de cheval de bataille à une propagande désinformatrice, répond tout simplement à la nécessité de justifier le vote d’un budget de Défense.
"Ce sont de bons accords" a déclaré le Président, rassuré sur la pérennité promise à la force française de dissuasion, durant que son entourage leur donnait une signification non dépourvue d’arrière-pensées. Disons que le contribuable européen n’est pas sorti de l’auberge, tant du moins que l’extermination de l’empire de Satan, de l’empire du mal", demeurera le fondement de la stratégie occidentale.

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La carte à puce.
Une seconde "puce" sur la carte téléphonique à mémoire - d’ores et déjà mise en service - pour y porter le montant d’une prévision de dépenses, une carte que l’on fait recharger, quand. elle est "vidée", dans la limite de son avoir, et voilà notre "monnaie de consommation" émergeant enfin du stock des utopies.
Que doit-on penser de ces cohortes d’experts, nageant dans les incohérences, aux prises avec d’insolubles problèmes et qui se bornent à touiller la même soupe, alors qu’ils ont à leur portée l’instrument monétaire propre à changer la règle du jeu ? Il s’agit seulement d’ôter à la monnaie son caractère transférable, cause de le plupart de nos maux. Et c’est là où le bât blesse, car il faut en convenir, cette petite puce supplémentaire envoie le capitalisme cul pardessus tête, détruisant le mécanisme de l’accumulation, le profit devenu inutile pour former les revenus et procurer l’emploi. Naît ainsi une société nouvelle, sécurisante, plus riche en loisirs, délivrée de la plupart des intolérables injustices dues à l’adversité.
Cette option en faveur d’une monnaie de consommation, un référendum la ratifierait sans coup férir.

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Le dollar plonge.
Une bonne recette pour réduire le poids de la dette américaine (celle des Etats vis-à-vis des banques étrangères) pour lutter contre la concurrence extérieure, japonaise notamment et relancer, par là, l’emploi et les exportations. Cette chute du dollar et la crise boursière qui l’accompagne ne sont pas sans lien avec l’offensive de paix déclenchée tous azimuts par Gorbatchev, cet empêcheur de danser en rond autour des crédits d’une Défense devenue non crédible face à une menace inexistante. On observera que le même phénomène s’était produit dans les mois ayant précédé la mort de Staline, en 1953, alors qu’une "avalanche de paix" déferlant du Kremlin semait la panique à Wall Street. Revenus les beaux jours de la guerre froide, la Bourse retrouvait la prospérité.
Analystes et experts ont la mémoire courte, à moins qu’ils n’aient choisi de taire ce genre de constat de nature à troubler leur bonne conscience.

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Le pouvoir et l’argent.
L’argent vient épauler les candidats au Pouvoir, après quoi le pouvoir se place au service de l’argent. Ainsi fonctionnent toutes les républiques fricardes.