Matière pensante


par  R. CARPENTIER
Publication : juillet 1988
Mise en ligne : 15 juillet 2009

Méditer et rêver est toute symphonie  ;
C’est un plaisir de l’âme, un doux ravissement ;
Et tout Etre normal y goûte l’harmonie
Au rythme de son cour, l’épanouissement.

Ah ! Que c’est confortant de vouloir s’évader
De la réalité, de la triste aventure,
Asservissant la Vie ; et se persuader
Que l’ataraxie est la clé de la Culture

Quel agréable état que celui de l’entente,
De l’Etre et la Nature, unis à l’Univers ;
S’étourdir au Soleil et goûter la détente...
C’est rejeter le bruit et ses effets pervers !

Je me souviens que jeune aussi je me pâmais,
Jonglant avec ma muse et ma rime à mon aise ;
Et par devant Phoebus créateur je clamais,
Fort de ma certitude, exalté par l’ascèse,

Que de s’imaginer sur le dos de Pégase,
Aussi léger que l’air, c’est, à l’instar dAriel,
Joindre le Nirvana, le summum de l’extase !
J’ai cru, reclus sur mon nuage immatériel,

Qu’un Etre bien nourri ne l’est que par l’Esprit
Je m’isolais de la réalité démente !
Mais, sursaut de mon cour, mon Ego se surprit
A voir autour de lui le manque et la tourmente.

Mes yeux étaient choqués à cet affreux spectacle ;
Mon esprit se meurtrit devant l’iniquité ;
Et mon coeur affligé, sensible réceptacle,
S’ouvrit spontanément à la Fraternité

Je venais de comprendre, analysant mes "torts",
Que savourer la Paix, gagner la quiétude
Dépend entièrement d’aussi nourrir le corps
Condition de la Vie et de sa plénitude.

C’est alors qu’observant les immenses services
Offerts par le progrès pouvant rayer la faim,
J’abandonnais les "cieux"qui ne sont point propices
A sustanter le corps, donc l’Esprit de l’Humain !

Partout et alentours abondent les produits ;
Et partout sur la terre on y voit la famine !
Exhérédés des Biens, les Hommes sont réduits
A la douleur dans l’âme, à la faim qui les mine !

Et citant, à propos, un titre d’André Gide,
C’est de "Nourritures Terrestres", et non point
De la prière austère et de substance vide,
Que, pour vivre, l’Humain a le plus grand besoin

J’acquiesce qu’autrefois quelque génie a pu
Créer dans l’infortune, une ouvre immarcescible...
A l’inverse un "auteur", aujourd’hui bien repu,
Flatte le Dieu Profit et se montre insensible !

Il faut éradiquer la CAUSE qui provoque,
Avec le dénument, la misère et labus ;
La vieille économie, en laquelle on suffoque,
Au Droit à l’existence, oppose son refus.

(Il n’est pas étonnant que Matière et Penser
Recherchent "L’eau-delà", remède épidémique
D’un bien-être fictif, "Paradis" insensé  ;
Créés pour compenser la souffrance endémique !)

Que de Pensers féconds alors dans notre tête !...
Le Besoin satisfait, l’Esprit, se sentirait
Sur Terre, et réaliste, apparaîtrait moins bête  !
L’Unique responsable enfin aboutirait

Dans une Société d’Hommes émancipés  ;
Libre de toute entrave il ouvrirait la Voie
Menant à la Beauté, vers l Amour et la Paix
Vers la Patrie Humaine, à l’Hymne de la Joie !