Et maintenant, Monsieur le nouveau Président ?


par  A. PRIME
Publication : juillet 1988
Mise en ligne : 15 juillet 2009

54% des voix, bravo ! 46% pour Chirac et la droite dure, quelle claque ! La mort de 2 Français (gendarmes) et de 19 "canaques" (dixit Messmer) - assassinés, les canaques ne sont plus Français - scandaleux coup de poker joué pour récupérer les électeurs de Le Pen, n’aura pas suffi à renverser ou même infléchir ce score.
En 1981, j’avais raté la Bastille. Cette fois - 8 mai 1988 - je n’ai pas voulu manquer la République. Quelle fête de la jeunesse ! Un vieux militant abondanciste ne peut y être insensible. En dehors des traditionnels concerts de klaxons, des "on a gagné", il y avait la joie spontanée, l’ESPOIR d’un monde meilleur que celui qu’offrait Chirac, finalement très ringard et dont la langue de bois n’a rien à envier à celle des Marchais, même si le contenu diffère.
Dans toutes les rues et avenues menant à la République, les affiches de Chirac étaient décollées, lacérées, symbole du rejet du personnage et de la société qu’il offrait aux jeunes.
Aux Champs-Élysées, c’était la même fête, en voiture, à pied ; la même fête au fond que lors du fameux défilé des étudiants contre la loi Devaquet, que j’avais suivi de la Bastille à la place Denfert.
J’étais à la fois heureux et nostalgique : quel regret que nous n’ayons pas les moyens, humains et matériels, de nous faire entendre fut-ce auprès du dixième de cette jeunesse ! Combien de ces jeunes ont une idée des seules solutions susceptibles de ne pas décevoir leur enthousiasme ? Pour la plupart, ils criaient leur révolte et se saoulaient d’espoir. En pleine nuit, une jeune fille lançait "Mitterand, du soleil" repris en choeur autour d’elle. Dieu le Père ! le miracle ! Ah, si le nouveau Président, et son premier Ministre, dans les ors de l’Elysée et de Matignon, pouvaient enfin entendre cette espérance pour éviter que ne se perpétue la désespérance qui, comme une chappe, s’abat depuis des années, et chaque année plus lourde, sur des laissés pour compte, et notamment les jeunes (bac + 2 pour un TUC !).
Déjà Rocard nous annonce 250.000 chômeurs de plus à la rentrée, bombe(s) à retardement laissée(s) par Chirac : on s’en doutait. Tant de jeunes en formation, TUC embauchés pour 6 mois, SIVP etc... n’étaient que des chômeurs camouflés. Élections obligent. Mais de toute façon, en régime de marché, çà s’amplifiera.
Notre lutte continue : éclairer, convaincre que tout cela n’est pas fatal. Sans doute le minimum garanti d’insertion est une petite victoire. Demain, pourquoi pas, un nouveau pas : voir l’article de notre ami Marlin sur la monnaie verte. Et surtout, il fait mener la bataille pour une diminution du temps de travail sans diminution de pouvoir d’achat. Même en régime marchand, c’est possible : voir ce qu’a obtenu l’IG Metall en RFA.
Il faut aussi sans cesse dénoncer la société duale qui s’aggrave : beaucoup de gens maintenant en parlent, ou sont obligés d’en parler : des hommes politiques, pas forcément de gauche, des écrivains, des catholiques. Pour ces derniers, un exemple de poids, ce que disait Don Camara "Quand je soulage la misère des pauvres, on dit que je suis un saint ; quand j’essaie d’en expliquer les causes, on dit que je suis communiste" .
La droite veut bien pratiquer la charité. En france, actuellement, devant les risques d’explosion et peut être pour certains, la honte d’une société riches-pauvres, en pleine abondance, il se trouve que 78 % des patrons sont pour l’octroi d’un mini garanti aux plus nécessiteux. Combien seront-ils pour le financer par l’impôt sur les grandes fortunes ? Ils hurleront. Et pourtant, dans la presse s’étale sans arrêt une situation scandaleuse :
- 8 millions de dollars, soit près de 50 millions de francs, ont été gagnés l’an dernier par le vice-président de Ford, Harold Polling (1),
- 41 % de hausse des profits des 500 plus grosses entreprises américaines en 1987 (1),
- malgré le krach boursier et une concurrence accrue, les 3 sociétés nationales d’assurances (UAP, AGF, GAN) ont encore réalisé d’importants bénéfices en 1987 (2).
- en Angleterre, Madame Thatcher est appuyée sur une bourgeoisie qui désormais s’enrichit (3).

On n’en finirait pas de citer de tels exemples. Et parallèlement, on peut lire chaque jour que des firmes, qui affichent bénéfices et augmentation de leur production, licencient (4) ; on peut lire aussi des "faits divers" comme celui-ci  : "suicide d’un chômeur en fin de droits : Serge Correia s’est donné la mort à la fin de la semaine dernière à Roanne. Il avait cinquante et un ans, était père de deux enfants..." (5).
La vérité d’une société inhumaine éclate au grand jour et peu de choses bougent. C’est que, comme l’a si bien dit Einstein qui pouvait parler en connaissance de cause : "il est plus facile de désintégrer l’atome que de changer la façon de penser des hommes".
Je viens de lire le supplément du Monde du 28 mai, intitulé "les Affaires". Très intéressant... et inquiétant. Une page est consacrée aux progressions des chiffres d’affaires et des résultats comparés 1986-1987. En 1987, les grandes firmes ont augmenté en moyenne leurs profits de 18 %. Citons deux exemples typiques : Saint Gobain, pour une augmentation de 1,5  % du C.A., les profits augmentent de 91 % ; chez Michelin, plus 1,3  % du C.A., plus 27,5 % des profits. Or les dirigeants de Michelin ont proposé une augmentation des salaires de... 20 centimes de l’heure. Une véritable provocation.
Autre remarque importante : les patrons ne veulent pas augmenter les salaires. Le patron des patrons a prévenu le soir de l’élection présidentielle. Que va faire le gouvernement de Michel Rocard face aux revendications syndicales, face aux grévistes qui voudront leur part du "gâteau retrouvé" ? Affaire à suivre.

(1) Le Nouvel Obs du 25.4.88
(2) Le Monde du 6.5.88
(3) Le Monde du 4.5.88
(4) Voir Peugeot, G.R. de mai, page 10
(5) Le Monde.