Abondancisme et terrorisme
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Publication : novembre 1986
Mise en ligne : 7 juillet 2009
Pourquoi traiter du terrorisme dans la Grande Relève ? Les abondancistes ont les mêmes raisons que les autres Français de le condamner. Je voudrais montrer qu’ils ont, si c’est possible, encore plus de raisons que les autres de le regretter. Faut-il rappeler que ces attentats contre la population civile, destinés à provoquer la terreur, ont eu, et ont encore probablement, des justifications, qu’ils sont non pas une nouveauté, mais une grande tradition ? Il existe actuellement des millions d’hommes qui vivent de façon indigne de leur condition d’hommes ; des personnalités énergiques peuvent être tentées de prendre leur cause en mains, pour mettre fin, par des actions terrifiantes, à cette honteuse humiliation : voilà la naissance du terrorisme révolutionnaire, méprisé dans l’immédiat, et dont la littérature s’empare plus tard ! Pour présenter la chose autrement, il y a, d’un côté, les atermoiements des nantis, qui sentent bien que la misère autour d’eux est intolérable, mais qui réunissent des Commissions sur la misère, qui élaborent, des années durant, des Projets sur la misère, tandis qu’à côté d’eux, les miséreux crèvent de faim et de désespoir. Et puis, il y a les « grands coeurs », que ces manoeuvres dilatoires font vomir, et qui se chargent de frapper fort, pour réveiller les opinions ! Il faut bien reconnaître que, malheureusement, ce que nous appelons « terrorisme » n’est parfois qu’un contre- terrorisme. Que des millions d’hommes, sans qu’aucune bombe n’ait été placée dans les lieux qu’ils fréquentent, craignent quotidiennement pour leur vie, vivent dans la terreur du lendemain ! Il n’empêche qu’il me paraît monstrueux de prétendre agir sur les mentalités collectives par la Peur : voici pourquoi.
Je me suis toujours demandé pourquoi, à
toute époque, les hommes tiraient si mal partie des ressources
naturelles, pourquoi ils produisaient si peu, pourquoi les inventions
étaient venues si tard, avaient été si mal exploitées.
J’ai cru trouver à cela deux explications : le Parasitisme et
la Peur Sociale. Parasitisme d’abord : spontanément, c’est des
autres hommes que les hommes attendent leur subsistance ; ils sont naturellement
voleurs et mendiants ; leur gibier, leur matière première,
c’est d’abord l’homme ; ce n’est qu’ensuite qu’ils se tournent vers la
nature. Dans un groupe vraiment soudé, le pourcentage des individus
occupés à produire paraît toujours dérisoire :
l’homme est malheureusement un être social, c’est-à-dire
que son occupation essentielle est de s’occuper des autres. C’est là
un terrain tout préparé pour ce que j’appelle la Peur
Sociale.
Bien des gens, comme moi, ont dû être surpris par le fait
que les tyrans et leurs séides sont toujours infiniment mains
nombreux que les victimes. Que les pillards sont une poignée
à rançonner des populations importantes. Cette docilité
des victimes est’ inexplicable ; car, même avec les progrès
de l’armement, les rapports de force leur semblent toujours favorables !
Comment comprendre cette passivité, qui encourage évidemment
toutes les vocations de rapaces et de prédateurs, et qui aboutit
à cette sanglante suite de catastrophes et d’âneries apocalyptiques
que l’on appelle : histoire de l’humanité ? Une seule explication :
les hommes ont peur les uns des autres, peur du groupe, de la foule
que représentent les autres individus. Peur fondée : les
réactions de ce groupe peuvent être sauvages ; la conscience
collective le sait ; et si elle l’oubliait, les atrocités régulièrement
commises ici et là, et complaisamment étalées,
se chargeraient de le lui rappeler. C’est une chose atroce que la Peur
; il suffit de l’avoir vue dans la mimique de pauvres bêtes qu’on
épouvante pour comprendre qu’elle est laide, dégradante,
que c’est avec elle qu’on fait les grands troupeaux dociles ; elle est
l’instrument idéal du despotisme, le plus sûr garant de
la misère. Il est vraisemblable que nous sortons de millions
d’années de terreur bestiale. L’humanité a commencé
lorsque des individus ont cessé d’avoir peur, lorsque leur sécurité
a pu faire tâche d’huile. Je suis persuadé que civilisation
et sécurité sont synonymes, que l’individu peut commencer
à regarder vers la nature quand il cesse d’épier ses congénères.
Si cette sécurité prend une certaine ampleur, alors, c’est
le Bonheur qu’on entrevoit ; un degré de plus, et c’est l’Abondance.
Elle se devine, elle se souhaite, lorsque les individus conviennent
entre eux, explicitement ou implicitement, de vivre moins entassés,
d’occuper plus d’espace, de respecter pour chacun, physiquement et moralement,
une sphère de sécurité. Cela a vraisemblablement
demandé des millions d’années. C’est une acquisition récente,
et précaire. Il suffit d’un rien pour qu’elle vole en éclats.
Cela signifie que le devoir absolu d’un homme qui aime la vie, qui aime
cette terre et les autres hommes, qui souhaite de tout son coeur le
bonheur pour tous, c’est d’abord de rassurer. Des milliards d’autres
frères de misère ont fait cela avant moi ; c’est à
eux que je dois cet espace de vie qui me permet de sourire, d’affronter
le rébus indéchiffrable de l’existence, qui me donne envie
que ça continue, puisque ce n’est plus un cauchemar, qui me pousse
même à rêver que ça dure éternellement !
A moi de ne pas transmettre la Terreur venue du fond des âges,
qui avilit l’humanité : le Bonheur, la Lumière, sont de
l’autre côté de la Peur. La manipulation des groupes par
la Terreur aboutit fatalement à la tyrannie d’un côté,
à la servitude de l’autre. Les Révolutionnaires, du XVIIIe au XXe siècle, le vérifient : aucun groupe humain
ne s’est facilement relevé des traces formidables que les terreurs
ont imprimées dans sa conscience. Ces sociétés
nées de la terreur sont aptes à la guerre, au sacrifice,
à l’égoïsme et à la débrouillardise :
elles sont radicalement inaptes à l’abondance. Si la Gauche se
propose effectivement le bonheur de tous les hommes, il faut alors conclure
qu’il n’y a jamais eu. qu’il n’y a pas, et qu’il n’y aura jamais de
terrorisme de Gauche.