Il y a urgence !

EDITORIAL
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juin 1999
Mise en ligne : 30 novembre 2005

Il faut absolument prendre conscience de l’extrême gravité de la situation actuelle : la pression néolibérale donne aux états-Unis le feu vert pour décider de l’avenir du monde et lui imposer, par la force si Washington le juge bon, sa “pensée unique”, c’est-à-dire la loi de la jungle avec toutes les conséquences catastrophiques qui en résultent.

L’effondrement de l’URSS a mis fin à la rivalité entre les deux grandes “super-puissances”. On pouvait espérer que la fin de la guerre froide ouvrait au monde une perspective de paix et de raison. Mais hélas, celui des deux blocs qui a survécu a décidé plutôt que c’était “la fin de l’Histoire” et qu’elle lui donnait le droit d’imposer son idéologie capitaliste néolibérale au monde entier. De sorte que la lutte est maintenant entre cette dictature-là et la démocratie... qui reste à inventer.

Et c’est vraiment sur tous les fronts que la lutte s’impose.

Bien qu’il n’y ait pas, à proprement parler, de gouvernement mondial, il existe cependant, depuis plus de cinquante ans, des institutions internationales que tous les états se sont engagés à respecter et dont le rôle est de faire prévaloir la paix, les droits de l’homme et la justice. Or les états-Unis passent outre. Pour imposer au monde leur propre politique ou pour faire prévaloir leurs propres intérêts, ils agissent de deux façons différentes. Indirectement, par l’intermédiaire d’organisations sur lesquelles ils ont mis la main pour les contrôler, c’est le cas du FMI [1], de la BM [2] et de l’OMC [3], ou pour les empêcher d’agir, c’est le cas des décisions écologiques prises par exemple au Sommet de la Terre qui eut lieu à Rio en 1992. Et directement, en ne manifestant que mépris pour ce qui constitue les fondements de l’ordre international que sont la Charte des Nations Unies et ses résolutions et la Cour internationale de justice, lesquelles condamnent l’usage de la force, sauf autorisation du Conseil de sécurité. C’est cette dernière méthode qu’illustre l’offensive sur la Serbie par l’OTAN [4], organisation d’ailleurs créée pour n’être que défensive, et qui n’obéit pratiquement plus qu’aux décisions de Washington.

Et les choses se précipitent. Sur le plan militaire, le tournant a été pris au début de cette année. Clinton l’a rendu officiel dans son “discours sur l’état de l’Union” le 19 janvier :« nous défendrons notre sécurité chaque fois qu’elle sera menacée » et pour cela, il a pris la décision, trop passée sous silence par les médias, d’augmenter considérablement les dépenses militaires (de 112 milliards de dollars dans les six ans à venir, ce qui constitue une première depuis le début des années 80), et de revenir à la “guerre des étoiles”, cette guerre des missiles à laquelle Reagan avait dù renoncer parce qu’elle risquait, évidemment, de provoquer une riposte de la part de Moscou. Le traité par lequel les états, dont les états-Unis, s’étaient engagés à interdire ces armes est ainsi remis en cause, ce qui menace d’autres accords (Start I et Start II) sur la réduction des armements stratégiques. Le rapport annuel du ministère américain de la défense est clair : « En tant que seule nation capable de mener des opérations à grande échelle... sur des théâtres très éloignés, les états-Unis occupent une position unique...et les nouvelles dépenses engagées sont essentielles pour s’assurer que les forces de demain continueront à dominer tout l’éventail des opérations militaires ». Clinton dit bien« l’objectif est notre sécurité » donc, explique l’Américain M.T.Klare [5], il veut disposer de forces armées utilisables chaque fois que la Maison Blanche décidera que les intérêts supérieurs américains sont en jeu. Le premier acte de cette nouvelle politique américaine a été d’écarter l’ONU [6] du problème des Balkans. La correspondante du journal Le Monde auprès des Nations Unies à New York rapporte que le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a été admonesté le 7 mai dernier pour avoir nommé deux émissaires (un Suédois et un Slovaque) pour les Balkans afin de faciliter une solution politique durable à la crise ! Un de ses collaborateurs explique que « si certains pays de l’OTAN veulent avant tout faire une démonstration de leur puissance militaire et si, pour eux, la victoire est la capitulation humiliante des Serbes, il est vrai que le secrétaire général ne partage pas cet objectif. Pour lui, la priorité est le retour des réfugiés ». Alors Kofi Annan s’est entendu signifier par la secrétaire d’état Madeleine Albright “ce que Washington attend de lui” : « Ne vous prenez surtout pas pour un acteur politique dans la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie,... toute ingérence politique ou militaire de l’ONU sera inacceptable. » Un autre responsable, rapporte la journaliste, estime « que la vérité est que certains pays membres de l’alliance préfèrent en fait une victoire militaire et toute initiative du secrétaire général de l’ONU est donc perçue comme gênant ce but. »

Sur le plan économique et social, l’attaque néolibérale est tout aussi grave et déjà bien avancée. l’offensive qui est menée actuellement en France contre le système des retraites par répartition s’inscrit dans un vaste projet qui a été codifié avec soin dès 1994 dans un rapport de ... la Banque mondiale [7] ! Avec pour but de donner un rôle dominant à la finance (en particulier aux compagnies d’assurances) dans les régimes de retraite. On en est à l’étape dite de concertation, avec le rapport Charpin, la suivante sera un projet de loi. Notre dossier spécial, ci-dessous, fait le point sur cette question.

En outre, le retour de l’AMI [8] sous une nouvelle forme, comme nous le craignions [9], est prévu également pour la fin de cette année. Il est maintenant projeté de l’introduire au sein de... l’OMC, d’y inclure de nouveaux secteurs (il s’agit même d’instituer le commerce de tout ce qui est vivant ) et de faire passer le tout en douce et en bloc, pratiquement sans débat, en novembre prochain, au cours du “Millenium Round” de Seattle aux états-Unis. Ceci a été proposé par Leon Brittan, a reçu l’accord du gouvernement japonais et Clinton l’a appelé de ses vœux dans son “discours sur l’état de l’Union”. Il faut lire l’étude intitulée “l’AMI cloné à l’OMC” [10].

Nos lecteurs ont signé massivement la pétition pour qu’un grain de sable [11] soit introduit dans les rouages de la finance internationale. Beaucoup d’entre eux ont même adhéré à l’association ATTAC [12] qui est à l’origine d’un vaste rassemblement contre la dictature de la finance sur le monde. Mais il faut aller plus loin parce qu’il y a urgence : le capitalisme se croit tout permis depuis qu’il ne se voit plus d’opposition politiquement organisée et qu’avec ses énormes moyens il sait qu’il conditionne parfaitement le public. Il faut d’abord faire un gros effort pour être au courant de ce qui se trame, comprendre où nous mène, sans notre accord, le système actuel, et puis l’expliquer à tous ceux qui n’acceptent pas d’abdiquer leurs droits les plus élémentaires, et enfin, participer à toutes les actions qui s’organisent [13].

Quand, naguère, des manifestants chantaient “C’est la lutte finale”, ils avaient tant l’espoir d’une société meilleure que la crainte de leur déception me faisait venir la larme à l’œil ; mais aujourd’hui, j’enrage de sentir que si une vaste offensive ne parvient pas à arrêter cette mainmise universelle du néolibéralisme, cette lutte sera bien finale, mais parce qu’il ne pourra plus y en avoir d’autre et que la morale citoyenne devra faire place à la loi du plus fort, instituée au plan mondial et dans tous les domaines : elle prévaudra désormais sur les Droits de l’Homme et la démocratie.

Quel progrès pour l’humanité !


[1FMI = Fonds monétaire international

[2BM = Banque mondiale

[3OMC = Organisation mondiale du commerce

[4OTAN = Organisation du traité de l’Atlantique Nord

[5Professeur au Hampshire College du Massachussetts.

[6ONU = Organisation des Nations Unies.

[7Dans un rapport intitulé Averting the Old Age : Policies to Protect the Old and Promote the Growth.

[8AMI = Accord Multilatéral sur les Investissements. Voir GR N°975 p.8-12

[9Relire dans notre N°975 : Chaud devant et Quel AMI ?

[10On peut commander cette brochure, au prix de 35 F les 10 exemplaires, plus 21 F. de frais d’envoi. par chèque à l’ordre de CGT Finances- CCCAMI. Coordination contre les clones de l’AMI, Observatoire de la Mondialisation 40 rue de Malte 75011 Paris.

[11Sous l’aspect de la taxe Tobin sur les transactions financières

[12ATTAC = Association pour une Taxation des Transactions financières pour l’ Aide aux Citoyens. Relire : A l’ATTAC dans notre N°978.

[13Et que la GR-ED s’efforce d’annoncer à temps, quand nous le pouvons.