Quelle différence y a-t-il ?
par
Publication : mars 1986
Mise en ligne : 22 juin 2009
« Quelle différence y a-t-il, entre la
droite et la gauche ?, soupirait récemment un ami, écoeuré
par la campagne électorale qui nous agresse.
Peut-être est-ce parce que je venais justement de lire L’homme
imaginant, d’Henri Laborit, toujours est-il que cette remarque
m’a automatiquement rappelé une devinette d’enfants : «
Quelle différence y a-t-il entre un écureuil et un fer
à repasser ? » Aux personnes qui, paralysées par
l’évidence, disaient « Je n’en sais rien », on répondait
: « Tu les mets tous les deux au pied d’un arbre, celui qui monte,
c’est l’écureuil ! ». Henri Larorit, en conclusion de son
essai sur les comportements humains, se demandant lui aussi où
se situe la séparation entre la droite et la gauche répond
de la façon suivante :
Comment les définir ? On pourrait dire que la droite comprend
les sédentaires, ceux à qui le mouvement répugne,
qui désirent maintenir les choses en l’état existant,
leurs privilèges et leurs bien sociaux. Comme ce sentiment n’est
pas empreint d’idéalisme, l’homme de droite préfère
se présenter comme le défenseur de valeurs séculaires,
voire éternelles, de la morale, de la religion, du droit, de
la justice, de la propriété, du travail, de la famille,
etc., de toutes ces entités qui ont fait la fortune du bourgeois
de toutes les nationalités. C’est un CONSERVATEUR...
Mais la gauche alors ? Serait- elle caractérisée par le
désir de changement ? Sans doute, mais ce changement peut aller
du détail au bouleversement profond des structures sociales...
Si la caractéristique de la gauche est le changement et si ce
changement passe par l’abolition de la propriété privée
des moyens de production, en supposant que celle-ci soit réalisée..,
tout commence, car cette abolition ne résout pas les problèmes...
C’est ce qui explique cette explosion d’idéologies... qui cherchent
une solution nouvelle aux problèmes humains. Si la gauche était
unie, elle serait la droite. En d’autres termes, si elle avait trouvé
une solution, elle la conserverait. Sa qualité fondamentale est
de se poser des problèmes, de chercher. La caractéristique
de la droite est de ne pas s’en poser, de conserver...
Cet « essai de biologie politique », bien qu’écrit
il y a déjà plus de quinze ans, aide à supporter
l’indigeste débat électoral actuel. Il explique, entre
autres aspects, l’âpreté avec laquelle l’opposition dénigre
.tout ce que la gauche au pouvoir a pu faire ; citons encore Laborit :
« Quand la droite défend ses biens matériels, ses
prérogatives, elle sait ce qu’elle défend, elle a l’expérience
de l’utilisation de ces biens, elle devine ce qu’il lui en coûterait
de les perdre. »... « Et voilà le drame de la gauche »...
« La gauche ne défend aucun bien matériel, elle
ne défend souvent qu’une idéologie qui pourrait les lui
procurer. »
Et Laborit conclut :
« Si c’est le contrôle par ellesmêmes de leur destin
que recherchent les classes défavorisées, ce qui doit
être finalement le but réel du socialisme, on comprend
que l’unité de la gauche soit difficile, car c’est le problème
de toute la destinée humaine qui est posé... Le jour où
un peuple a cru découvrir cette solution et s’y est maintenu,
il a découvert la bureaucratie et c’est elle, dès lors,
qui a tout fait pour se maintenir... La première richesse de
la gauche doit être sa diversité. Lorsque celle-ci disparaît,
elle évolue irrésistiblement vers la droite... »
C’est bien ce que reprochent aujourd’hui au gouvernement ceux qui sont
profondément choqués de l’entendre prôner les mérites
de la compétitivité, et vanter les vertus des «
battants », grâce à qui la vie devient une guerre
économique incessante avec tous les risques que cela comporte.
Ces vrais « déçus du socialisme », n’ont pas
oublié que - le Projet socialiste, publié avant mai 81,
proclamait très clairement : « Pour sortir de la crise,
il faut sortir du capitalisme en crise »... car « il ne
s’agit pas pour nous d’aménager le système capitaliste,
mais de lui en substituer un autre ».
Le Parti Socialiste n’a pas osé aller aussi loin. Et c’est bien
pour cela qu’il n’a pas pu apporter de solution au problème du
chômage dont l’acuité est chaque jour plus dramatique.
Parce qu’il n’a pas su, pas voulu, ou pas osé, ouvrir le dialogue
avec les véritables forces de la gauche, celles qui proposent
de vrais changements. Il a fait beaucoup, certes, et c’était
difficile. Mais il n’a pas fait assez parce qu’il n’a pas eu le courage
suffisant pour « imaginer » un autre cadre économique
que celui qu’imposent, par tous les moyens, les forces conservatrices,
c’est-àdire les forces de droite.
En fait le plus grand échec du P.S. se situe au plan culturel
: il n’a pas su se donner les moyens de transformer les mentalités.
Là encore, écoutons Laborit :
« Dans un pays industrialisé comme le nôtre, désirer
un changement profond du régime socio-économique est louable,
mais pour y parvenir, à moins d’une dictature, il faut d’abord
obtenir l’assentiment du plus grand nombre. Ce plus grand nombre ne
paraît pas décidé aujourd’hui à abandonner
les avantages matériels que lui concède le régime
socioéconomique existant. Cet abandon ne peut être obtenu
que par l’éducation non politique, mais scientifique, de ce plus
grand nombre. Par une véritable révolution mentale, par
une transformation profonde du comportement... »
L’objectif de la gauche ça devrait être : « d’imaginer
le monde socio-économique de demain et surtout de diffuser la
culture. J’entends, par là, de semer le doute au sein de toutes
les classes et non pas seulement l’ouvrière, sur la légitimité
de l’ordre existant. De montrer au plus grand nombre la fragilité
des jugements de valeur et le
déterminisme des structures mentales.
... « Et maintenant, je vous conseille d’aller porter sérieusement
votre bulletin dans l’urne. Que diriez-vous si, à tous les tons
dégradés qui vont du bulletin rouge au bulletin blanc,
on ajoutait délibérément une autre couleur : un
bulletin vert par exemple ? Celui de l’espoir, de l’imagination, celui
qui placerait en tête de ses préoccupations l’enseignement
généralisé, non orienté de façon
autoritaire, celui de la restructuration permanente ? »