Le « peuple de gauche » floué


par  A. PRIME
Publication : décembre 1988
Mise en ligne : 4 juin 2009

La politique économique du gouvernement est tournés vers l’emploi, objectif prioritaire, et non vers l’accroissement du pouvoir d’achat ». Signé Michel Rocard, Premier ministre d’un gouvernement « de gauche », suite à la grève du 20 octobre.

« Je crois que nous ne pouvons pas relâcher la politique salariale qui est conduits... Les gains de pouvoir d’achat que l’on peut espérer doivent être recherchés plus par la déflation que par les augmentations de salaires ». Signé (9 octobre) D. Strauss-Kahn, député P.S., président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, et ex-« expert » en économie du P.S. On pourrait multiplier les citations de personnalités que la gauche a élues, c’est-à-dire choisies, il y a seulement quelques mois pour que cesse la politique des Chirac et Balladur : des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus pauvres et plus nombreux.

Floué donc, ce peuple de gauche qui criait sa joie et son espoir en la République et ailleurs, le soir de la réélection de Mitterrand.
Soyons justes - comme à l’habitude - et rendons à Rocard ce qui lui appartient : Nouvelle-Calédonie, RMI (revenu minimum d’insertion) et ISF. Mais ce qui est l’essentiel d’uns politique de gauche reste bloqué malgré la « divins surprise » de la baisse du chômage en septembre : 2,1%, uns goutte d’eau.
Alors qu’on avance de façon à peu près certaine que l’inflation sera de 3% en 1988, le gouvernement prétend s’en tenir à 2% en ce qui concerne l’augmentation des salaires des fonctionnaires. Il ne s’agit même plus là de l’accroissement du pouvoir d’achat dont parle Rocard, mais de régression ; régression qui s’ajoute aux 7/8% des dernières années. M. Bérégovoy ne manque pas d’audace, à la Chambre des députés, lorsqu’il accuse la droits d’être seule responsable de cette situation. Certes, les deux dernières années, plus les vingt-trois années précédant 1981 sont à la charge de la droits. Mais Bérégovoy oublis-t-il que le P.S. a régné en maître - majorité des députés à lui seul - de 1981 à 1986 . Cinq années pour « changer la vis », comme le chantait si bien le P.S. de l’opposition, ce n’est déjà pas si mal ! Mais bien sûr, il fallait « l’austérité » pour bien gérer la boutique capitaliste.
Et le chômage ? « La politique du gouvernement est tournés vers l’emploi » affirme Rocard. Qu’il y pense, soit ! Mais, sérieusement, qu’a-t-il fait, et surtout quel programme a-t-il proposé pour supprimer ce cancer, même sur uns législature ? Aucun.
En fait, il sait très bien, qu’en dehors du traitement social, dont les ressources sont pratiquement épuisées, et les « petits boulots » type USA, rien n’arrêtera la destruction des emplois dûs aux progrès techniques et ce, désormais, dans les trois secteurs.

On chants sur tous les toits que la croissance 1988 dépassera tous les espoirs : 3,50%, presque comme au temps des « trente glorieuses ». Or, les journaux sont remplis d’annonces de licenciements (Lacoste, Adidas : 500 emplois ; Lee Cooper : 350, il est vrai « délocalisés » en Tunisie où les salaires sont trois à quatre fois moins élevés). Les destructions d’emplois continuent : 130 000 en un an, comme nous le signalions dans la Grands Relève d’octobre ; ce n’est pas étonnant puisque la productivité croit de 6% et la production de 3,50%.
Oui, le « peuple de gauche » doit se sentir bien floué. (Flouer, définition du Petit Robert : voler quelqu’un en le dupant). On continus à lui voler uns partis de son pouvoir d’achat après lui avoir menti pendant les campagnes électorales. Mitterrand écrivait dans sa « lettre à tous les Français » : « S’il est un terrain où pour moi les choses sont claires (entre la droite et la gauche), c’est bien celui de l’injustice et des inégalités sociales... Le pouvoir d’achat des salaires stagne, tandis que le pouvoir d’achat des plus favorisés s’élève ? C’est la traduction d’une volonté politique, que, seul, mes chers compatriotes, votre vote peut trancher ».

Qu’en est-il aujourd’hui de cette compassion du « Père » ? Si la croissance est de 3,5%, cela veut dire que les rentrées fiscales - TVA, impôts sur les bénéfices seront accrues. Il est donc normal que ces rentrées supplémentaires soient, en partis du moins, redistribuées, tout comme les gains de productivité doivent être partagés entre employeurs et salariés si on veut vendre plus. Simple bon sens capitaliste qu’a bien compris un pays comme la RFA. Va-t-on longtemps encore, en Francs, entendre le gouvernement Rocard, après celui de Chirac, réclamer encore plus de croissance « pour sauver l’emploi bien sûr », avant d’octroyer plus de pouvoir d’achat, ou simplement assurer son maintien ? Soyons clairs : il faut bien que ces 3,5% de biens supplémentaires aillent quelque part. Et, comme ce n’est pas à l’exportation, à qui profitent-ils ? Trêve d’hypocrisie, Messieurs « de gauche » : ils profitent aux plus riches, ce que nous n’avons cessé d’affirmer en constatant que la société duale s’aggravait. Nous n’avons pas attendu Mitterrand, mais, qu’il l’ait constaté pour pouvoir demander aux électeurs de « trancher par leur vote », nous permet de lui renvoyer la balle, de l’interroger. Ne nous y trompons pas : ce n’est que sous la pression, notamment de ce « nouveau syndicat » informel, la Coordination, apparu fin 1986 avec les étudiants, puis les cheminots, et qui draine 80% des manifestants contre 15 à 20% seulement pour les syndicats, que le gouvernement « socialiste » a dû céder, ou plutôt concéder quelques miettes, comme un vulgaire gouvernement de droite. Alors qu’il eut dû venir, généreux, audevant des électeurs. Et s’il crée deux commissions, méfiance. « Quand je veux enterrer un projet, disait Clemenceau, je crée une commission ».
Bien sûr, il y a la compétitivité, l’Europe de 93, les sacro-saints « grands équilibres » ! « Je ne mettrai en aucun cas en cause les grands équilibres de l’économie française ». Et encore : « Il nous faut continuer pendant dix-huit mois à peu près... (pour) nous donner à terme des marges de manoeuvre un peu plus amples ». Après demain seulement, on pourra raser gratis. Tout cela est un peu facile, Monsieur Rocard. « Face à l’aggravation du déficit extérieur, le gouvernement veut contenir le pouvoir d’achat » titrait Le Monde du 5 octobre. Ce déficit a bon dos. Il est avant tout le fait des industriels qui ne savent pas vendre à l’extérieur. Alors, au moins peuvent-ils répondre à une demande intérieure accrue par une augmentation du pouvoir d’achat sans créer d’inflation et sans que ce supplément de pouvoir d’achat aille aux produits d’importation.
Nous récusons donc totalement les arguments des Rocard, StraussKahn et C° : ce sont ceux de la droite. Du reste, la politique d’ouverture au centre, après avoir utilisé les voix des électeurs communistes et divers, tant pour l’élection de Mitterrand que des députés socialistes, montre clairement que le gouvernement actuel a tout abandonné du programme du P.S. d’avant 1981. Les membres du P.S. qui osent encore s’y référer sont traités d’ayatollas. Les socialistes penchent vers le centre, donc à droite. Edgar Faure, orfèvre en la matière, disait « Le centre, c’est la deuxième porte à droite ». Et P. Marchelli, patron des cadres C.G.C.T., peu suspect de « pencher » à gauche, trouve que le gouvernement Rocard « fait une politique trop à droite ».

Evidemment, de nombreux socialistes de base grognent. Et l’électorat socialiste - dont les gros bataillons sont précisément les fonctionnaires - pourrait montrer sa mauvaise humeur lors des prochaines municipales. Alors, Mauroy monte au créneau, fait une passe d’armes à la Chambre - à fleuret moucheté - avec Rocard, pour donner le change. Il serait étonnant que les électeurs se satisfassent de ces remontrances et d’autres similaires, pour continuer à accorder leur confiance au P.S.
Plus sérieuse, et certainement plus sincère, est la colère que Max Gallo, membre du bureau exécutif du P.S., laissait percer dans un article du journal Le Monde du 20 octobre (pour ne pas allonger notre exposé, nous donnons en encadré quelques-unes de ses réflexions.(*) (**))

« Fin de la gauche ». C’est un intellectuel de gauche qui lance ce cri d’alarme. Puisse-t-il être entendu des militants du Parti socialiste, à défaut de l’être de ceux qui « sont aux affaires » pour continuer ou peu s’en faut la politique de la droite.

(*) « Mais la réalité accablante demeure : écart des revenus de un à vingt ; moyenne des salaires : 8.000 francs (68,5% des salariés au-dessous de cette ligne médiane) ».
« On répond : rigueur nécessaire. Marges étroites. Déficit du commerce extérieur. Economie ouverte, mais il y a, en économie ouverte, des résultats différents. Pas seulement en Suède. Dans quatre pays (Grande-Bretagne, EtatsUnis, Japon, RFA) les troisquarts des surplus de productivité créés ont été attribués aux salariés sous forme d’une hausse de leur pouvoir d’achat... contre 4,5% en France (données du CERC, juillet 1988). Et les coûts salariaux sont désormais plus faibles en France qu’en RFA. Alors ? Il est une tradition française - la plus sinistre - qui consiste à faire payer par le « peuple » les erreurs des élites ».

(**) « Qui parlera, dans la guerre économique impitoyable, de ces « élites » qui se trompent, ne savent ni produire, ni vendre ou préfèrent la spéculation et les OPA. Les chiffres sont là. Les profits boursiers se sont envolés. Les entreprises ont "refait" leurs marges. Les salaires ont stagné (et le pouvoir d’achat dans la fonction publique a régressé) ».
« Ces gains (des « élites »), d’où proviennent-ils, sinon pour une large part de la« plus-value » ponctionnée ailleurs, chez les soutiers, les anonymes, les « productifs » de l’organisation sociale ? Est-ce tolérable si l’on se place dans la lignée de ceux qui, qu’on, les appelle socialistes républicains ou hommes de progrès, ont voulu précisément que le rapport du salaire ;, au travail ne soit pas seulement dicté par le marché, mais par l’utilité sociale ? Qui ont placé l’égalité au coeur de leur action ? »
« Quand ; on touche aux privilèges, ils se défendent. Et il peut sembler parfois qu’il vaut mieux les ménager. Mais le boomerang de la réalité vient alors frapper : mouvements sociaux, abstentions, crise des représentations. Fin de la gauche ».