Mais si, ça bouge !


par  M.-L. DUBOIN
Publication : mars 1989
Mise en ligne : 15 mai 2009

Voici qu’à trois mois d’intervalle viennent de sortir deux livres de reflexion sur notre temps qui convergent tous deux vers la même conclusion, très nette :

l’économie distributive s’impose (1)

Leurs auteurs, pourtant, ont des personnalités fort différentes, et ils ont mené leurs recherches de façons presque diamétralement opposées.
André Gorz, ingénieur chimiste de formation, ancien journaliste du Nouvel Observateur est devenu, depuis plusieurs années, un philosophe qui vit en retrait du monde journalistique et politique. Il a mené en solitaire sa réflexion sur l’évolution du travail (2), mais en s’étayant sur un grand nombre de lectures, sur celle de Marx, biensûr, dont il fait une critique originale, et sur celles de nombreux chercheurs, dont beaucoup sont allemands, d’Hannah Arendt à Max Weber et Jûrgen Habermas.

Jacques Robin, médecin de formation, puis directeur d’une entreprise de production pharmaceutique, est un homme de dialogue qui a fréquenté « les milieux les plus divers en France et dans le monde : médicaux, scientifiques, industriels, politiques, culturels ».
C’est un animateur, un organisateur de rencontres au cours desquelles les disciplines, les cultures, les esprits s’enrichissent mutuellement. Il présente son livre (3) comme étant le fruit de ses confrontations, de ses interrogations au contact de nombreuses personnalités, parmi lesquelles il cite, entre autres, Robert Buron, Jacques Attali et René Passet (4) , Henri Laborit et Joël de Rosnay, Edgar Morin, André Leroi-Gourhan et Michel Serres.

Certes, pareils contacts peuvent expliquer l’exceptionnelle densité de son livre, mais un aspect particulièrement remarquable de sa personnalité est le don qu’il a de susciter ces rencontres qui enrichissent la réflexion. Alors, quand il termine son livre en exprimant son désir d’élargir à de nouveaux interlocuteurs non seulement la réflexion , mais aussi l’action, tout distributiste est prêt à l’aider.

Justement,une de ces rencontres vient d’avoir lieu à la Villette, dans le cadre de la réflexion sur un « projet de civilisation pour l’Europe » de 1993. De nombreux distributistes sont venus y assister. Ils ont beaucoup apprécié les diverses interventions, dont celle de Jacques Robin, qu’ils ont chaleureusement applaudi. Leur joie culmina au discours de René Passet, tant ils étaient émus de retrouver dans son expression-même, les analyses et les propositions pour lesquelles ils luttent depuis si longtemps. Ils avaient auparavant apprécié le style du message d’encouragement du Président de la République, lu par E. Pisani.
Ce message, puis, quelques semaines plus tard, les invectives de François Mitterand contre l’argent facile, sontils de simples propos pour encourager l’électorat de gauche, ou bien seront-ils suivis d’actes, qui prouveront une réelle, et nouvelle, prise de conscience de la nécessité du bouleversement économique qui s’im-pose  ? L’avenir nous le dira.
Mais deux livres remarquables en trois mois, une réunion à la Villette et des propos présidentiels télévisés qui tous concluent dans le sens de l’économie distributive, voilà tout de même de quoi répondre à ceux qui disent que malgré nos solides arguments et nos efforts inlassables «  il ne se passe rien ». Il se passe quelque chose : ILS Y VIENNENT !

1) Pour reprendre le titre d’un ouvrage publié en 1950 par Jacques Duboin.
2) « Métamorphoses du travail. Quête du sens », voir l’article intitulé « les nouveaux serviteurs » dans notre n° 872 de Novembre dernier.
3) « Changer d’ère », voir l’analyse ci-dessous, page 9
4) Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas René Passet qui fit connaître l’économie distributive à Jacques Robin. Celui-ci m’a confié avoir été « initié » par son propre père, dans sa jeunesse. C’est peut-être ce qui explique qu’en faisant référence à Jacques Duboin il ne cite, curieusement, que des livres très anciens, publiés de 1934 à 1936 ; il semble n’avoir lu ensuite aucune des études au cours desquelles, de 1936 à 1955, de « Rareté » à « Les yeux ouverts », la thèse s’est étoffée.