Faits et arguments
par
Publication : décembre 1990
Mise en ligne : 15 avril 2009
Le but de la Grande Relève est, me semble-t-il,
de donner à ses lecteurs des arguments qui tirent leur force
des faits, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou
culturels. Ces faits et arguments doivent accroître notre capacité
à convaincre nos interlocuteurs. Rabâcher sans fin les
thèses de l’économie distributive ne peut servir à
grand chose : nous sommes tous informés. Et le résumé
de nos thèses qui parait dans chaque Grande Relève a pour
objet de pousser les nouveaux lecteurs à vouloir en savoir plus,
en nous écrivant ou en s’adressant au distributiste qui leur
a donné à lire un numéro de la Grande Relève.
Les articles de fond ne constituent pas les seules armes pour convaincre
: c’est également le rôle des "Lu, vu, entendu",
des encadrés, voire du courrier des lecteurs.
Aujourd’hui, j’aurai recours à une formule intermédiaire
: noter des faits, même divers, sans rapport apparent, pour servir
d’arguments à la défense de nos thèses.
Qui a écrit ?
"La misère des citoyens n’est autre chose
que le crime des gouvernements... Les abus sont l’ouvrage et le domaine
des riches, ils sont les fléaux du peuple. L’intérêt
du peuple est l’intérêt général, celui des
riches, l’intérêt particulier..."
Question bicentenaire, vous l’avez deviné : il s’agit de Robespierre.
C’aurait pu être aussi bien Saint-Just pour qui "le bonheur
est une idée neuve en Europe".
A l’heure où les festivités du bicentenaire s’achèvent
avec deux films sur la Révolution (comment relateront-ils ces
événements cruciaux, notamment le deuxième qui
porte sur 92-94 ?), il est triste de constater que pas un seul homme
politique, pas un intellectuel ou historien de progrès, et alors
que la "gauche" est au pouvoir, n’a pris l’initiative de réclamer
pour Paris, une rue Robespierre, Saint-Just, et pourquoi pas Marat,
Babeuf. Ah 1 la Terreur, bien sûr : même 200 ans après,
il ne faut pas effrayer le bourgeois. Alors que trafiquants et traîtres
sont tous honorés : Danton, Fabre d’Eglantine (1), Mirabeau.
Mirabeau, gorgé de subsides royaux, a non seulement une rue,
mais un pont et une station de métro ; il a même eu droit
un temps au Panthéon, jusqu’à l’ouverture de la fameuse
"armoire de fer". Bravo Mitterand, Rocard et tous les autres
! Le nom de Jacques Duboin, il est vrai, après plus d’un demi-siècle,
ne figure dans aucun traité d’économie officiel.
"Ca devient difficile d’être de gauche, surtout quand on n’est pas de droite"(Guy Bedos)
Ce même gouvernement Rocard n’ose même
pas - les patrons se fâcheraient - évoquer un plan de réduction
du temps de travail pour faire reculer sérieusement le chômage
; il préfère aller de TUC en SIVP pour maintenir un chiffre
artificiel (autour de 2.500.000 chômeurs). En RDA, par contre,
avec un gouvernement de droite, la réduction du temps de travail
se poursuit : l’IG Metall, syndicat de la métallurgie, qui a
déjà obtenu, en moins d’une décennie, les 37 heures
sans diminution de salaire (grâce au partage des gains de productivité
entre patrons et salariés), vient de tenir congrès pour
étudier le passage aux 35 heures dans des délais réduits.
L’Allemagne n’est pas le seul exemple en Europe. Eugène Descamps,
cofondateur et ancien secrétaire de la CFDT, dans "Collectif",
rappelait récemment quelques données : en RFA, dans la
chimie, 35 heures pour les salariés de plus de 58 ans ; en Belgique,
38 heures légales depuis 1980, 35 heures dans les ports, 36 dans
les grands magasins ; en Hollande, la semaine oscille entre 36 et 38
heures ; en Suède entre 35 et 36 heures avec objectif 30 heures
sans perte de salaire (2). Des lecteurs de la Grande Relève se
sont plaints de notre dureté avec les socialistes. Mais que font
ceux-ci de mieux qu’un gouvernement de droite, rétrograde ? (3)
Ne pourraient-ils, même en "gérant" une économie
de marché, faire ce que font certains de nos voisins capitalistes
? Ne pourraient-ils mettre une griffe sociale (4) sur leur gestion ?
Si nous sommes durs avec eux, c’est la moindre des choses ; dans leur
propre camp, des socialistes non gouvernementaux "grognent"
(5) : ils déplorent le "déficit social" du gouvernement
Rocard, qui conduit - ce sont les carriéristes qui insistent
-au "déficit électoral".
Maggie la "révolutionnaire"
C’est le titre d’un article du Monde des 15/16 octobre.
Déjà, venant à Paris pour le 14 juillet et le Sommet
des riches, elle avait jeté un froid en brandissant le "Bill
of Rights" : "Les Droits de l’homme n’ont pas commencé
avec la Révolution Française ... Nous avons eu la Grande
Charte de 1215 et la Déclaration des Droits au 17e siècle
et notre révolution tranquille de 1688, lorsque le Parlement
a imposé sa volonté à la monarchie".
Depuis, elle a fait beaucoup mieux. En Octobre, au Congrès des
Conservateurs, elle s’est déchaînée. Le "Monde
" rapporte : "On se souviendra de 1989 comme de l’année
au cours de laquelle les peuples de la moitié de notre continent
ont commencé à se libérer de leurs chaînes".
Madame Thatcher s’est attribué un rôle moteur dans ces
changements : "En 1979 (l’année de son arrivée au
pouvoir), nous savions que nous lancions une révolution en Grande-Bretagne ;
en fait, nous étions les pionniers d’une révolution mondiale.
Nos mots d’ordre de 1979, liberté, famille, entreprise, propriété,
sont ceux que l’on entend aujourd’hui à Leipzig, Varsovie, Budapest
et même Moscou. La torche que nous avons allumée en Grande-Bretagne
est devenue un phare qui a projeté sa lumière au-delà
du rideau de fer".
La Dame de fer enfonçant le rideau de fer ! Une "révolution
mondiale", pas moins ! Il est vrai qu’on parle beaucoup - sans
rire - de "révolution conservatrice".
Ces rodomontades prêteraient à rire s’ils ne s’appuyaient
sur une situation extrêmement grave, voire explosive, comme l’a
montré Marie-Louise Duboin, dans son éditorial de la Grande
Relève de novembre. Maggie pourrait peut-être balayer devant
sa porte : près de 8% d’inflation et 200 milliards de déficit
de la balance commerciale, malgré le pétrole de la Mer
du Nord.
Boom, krach, boom, mini (s) krach (s).... KRACH ?
Le monde n’en finit pas d’être inquiet à
cause de la Bourse de Wall Street. Verra-t-on, au bout du compte, le
grand Krach(avec un K majuscule, type 1929) que redoute - on pourrait
presque dire "prédit" - notre prix Nobel d’économie
: Maurice Allais ? En fait, tout se tient : ce qui se passe est d’une
logique implacable, que l’enchaînement des faits depuis le début
de l’ère Reagan permet de comprendre - même si les mécanismes
sont complexes à saisir, le principe est simple. Nous ne faisons
ci-après que rassembler des réflexions ou études
menées depuis des années dans la Grande Relève.
- Sous Reagan, homme du lobby militaro-industriel, la part des dépenses
militaires passe de 5 à 9% du PIB. Retombées tous azimuts
et bientôt boom économique.
- Mais croissance vertigineuse du déficit budgétaire (environ
200 milliards chaque année).
- Pour rendre les emprunts d’Etat attractifs, aussi bien aux Etats-Unis
que dans le reste du monde, on offre des intérêts élevés.
Du coup, le dollar s’envole, passant de 5,40 F. en 1981 à 10,48
en mars 1985 (+ 94%). Le Dow Jones suit : sa cote passe de 700 à
2772 avant le krach d’octobre 1987.
- Un dollar de 10 F. et plus ralentit fortement les exportations et
favorise les importations : Japon, RFA, Corée du Sud, Taïwan,
divers , s’en donnent à coeur joie (25% des voitures vendues
aux Etats-Unis sont japonaises). D’où déficits records
de la balance commerciale, dans le sillage du déficit budgétaire.
Tout se tient. Ce déficit commercial, malgré l’accord
des Cinq du 22 septembre 1985 de faire baisser le dollar, s’est poursuivi
(probablement du fait de l’inertie des habitudes prises).
- Que se passe-t-il alors ? C’est capital.
Fait roi par les accords de Bretton Woods en 1944, le dollar couvre
la quasi totalité des échanges internationaux. Pour combler
leur déficit extérieur, les Américains font marcher
la planche à dollars, privilège exorbitant et unique dans
le monde. En d’autres termes, ils paient en "monnaie de singe".
C’est très grave pour l’économie, l’équilibre mondial
puisque ces dollars sont du "vent", ne correspondent à
aucune contrepartie en marchandises. On pourrait les baptiser déficito-dollars.
C’est pire que les narco-dollars.
- Ces dollars - et ceux couvrant des achats hors déficit - vont
aller remplir les caisses des principaux pays exportateurs vers les
Etats-Unis Japon, RFA, Corée du Sud, Taïwan ; tous ces pays
ont des balances commerciales hautement bénéficiaires.
- Boomerang : avec tout cet argent, les Japonais (essentiellement) deviennent
les principaux acheteurs de bons du Trésor US, l’épargne
des Américains étant nettement insuffisante et achètent
usines ou participations, une université, des immeubles(6), montent
des usines, envahissent l’information (rachat par Sony de Columbia après
CBS), deviennent les principaux opérateurs de la Bourse de New-York
(entre 1984 et début 1987, les Japonais et d’autres étrangers
ont acheté 170 milliards d’actions et obligations américaines).
Mais autre conséquence : ils sont devenus si riches, grâce
à la politique de Reagan, qu’ils font la même chose dans
le monde entier, et singulièrement, dans notre bonne vieille
Europe où ils se positionnent fortement en vue de l’ouverture
du marché commun : en France, par exemple, vignobles réputés,
tableaux, haras, immeubles, haute couture, etc.. tout cela n’étant
que des hors-d’oeuvre. Ajoutons, phénomène aggravant,
que les Japonais détiennent un quasimonopole mondial dans les
appareils photo et caméras, les motos, les magnétoscopes,
et qu’ils ont une part prépondérante dans la HIFI et l’électronique
en général. Et voilà comment un peuple de 123 millions
d’habitants, exploitant habilement les erreurs du grand frère
américain, pourtant guidé par son "grand communicateur",
a pu acquérir un tel poids mondial. Il est bien temps de se réveiller,
notamment aux Etats-Unis, où la nippophobie se développe
"Qui sème le vent, récolte la tempête".
L’Amérique est le pays le plus endetté du monde. Sa bonne
santé -croissance ininterrompue depuis 8 ans financée
en fait par des emprunts - n’est qu’apparente et cache des lézardes
profondes, dont les à-coups boursiers sont les symptômes.
L’activité boursière tente de compenser l’effondrement
de pans entiers de l’industrie (en 1986, 45% des investissements ont
été réalisés par des étrangers, et
c’est, d’après les experts, une des raisons principales de la
montée du Dow Jones).
Les Américains semblent réduits à inventer de nouveaux
"jeux" boursiers, les "junk bonds", proches de l’escroquerie,
et dangereux : obligations à taux élevés, mais
à hauts risques, qui ont pour but, pratiquement sans capitaux
initiaux, d’acheter des firmes et de les revendre rapidement, dépecées,
en faisant d’énormes profits. Ces raiders nouveaux sont soutenus
par des banques, appâtées par les hauts profits, mais tenues
à l’écart de "l’establishment". Comme des sicaires
que l’on paierait pour un crime, sans qu’il soit question de les fréquenter.
En résumé, les Américains vivent, riches - pas
tous, 35 millions de pauvres - aux crochets du reste du monde. Le dollar,
monnaie mondiale, clé de voûte des échanges, perpétuellement
soutenu par les banques centrales, fait peser une lourde menace sur
le système monétaire mondial. Le Japon, et les autres
pays à balance commerciale fortement excédentaire, peuvent
acheter ce qui leur plaît. Face à eux, une Europe à
construire, divisée (Angleterre), des pays de l’Est en pleine
crise, un tiers monde surendetté, en misère croissante,
en pleine explosion démographique. Partout drogue et sida en
développement exponentiel... Pas besoin de la guerre des étoiles
pour éprouver quelqu’angoisse pendant la dernière décennie
du siècle !
1. Danton et Fabre d’Eglantine ont trempé dans
le scandale de la Compagnie des Indes alors que le peuple manquait de
tout. La vénalité de Danton ne fait pas de doute.
2. En Angleterre, fin octobre, les ouvriers de Rolls-Royce et de British
Aerospace ont voté la grève pour obtenir la réduction
de la durée de travail de 39 à 35 heures par semaine.
3. Une enquête Figaro Sofres a montré que, pour 61% des
Français, il n’y avait aucune différence entre un gouvernement
de droite et un gouvernement de gauche, type Rocard.
4. Dans la Grande Relève de Juin 88, nous écrivions :
"Le gouvernement socialo-centriste osera-t-il revenir sur l’autorisation
des licenciements ? Ce sera un test." Le test est concluant : on
n’a pas voulu faire pleurer les patrons !
5. Voir la Grande Relève d’Octobre
6. Mitsubishi vient de s’offrir le Rockefeller Center.