La double lecture
par
Publication : janvier 1990
Mise en ligne : 3 avril 2009
Louise a trouvé un superbe "album d’Histoire
de France" dans les poubelles d’une librairie. C’est un livre pour
classe très élémentaire, ça tombe bien :
on va voir comment les chérubins commencent leur vie :
"Les premiers hommes ... chassaient pour se nourrir.. Ils s’abritaient
dans des cavernes, lis construisent des maisons, lis fabriquent des
vases. Les druides cueillent le gui ... César est un général
romain, Vercingétorix veut libérer la Gaule... - des femmes
s’affairent devant l’étal d’un boucher (illustration)... ! Les
Huns attaquent la Gaule, Attila épargne Lutèce, les Francs
s’installent dans le nord de la Gaule, Ils aiment beaucoup se battre
(sic) .... Sainte Geneviève rassure les Parisiens (c’est bien
gentil à elle !) ... Le Maire du Palais, le bon Roi Dagobert...
Les Arabes attaquent notre pays, Charles Martel les arrête à
Poitiers...".
C’est ainsi que j’entendis un Maghrébin dire un soir, sur une
radio libre, au sujet de toutes les péripéties concernant
le "foulard" des jeunes intégristes : "Nous sommes
bien montés jusqu’à Poitiers en 732 et la France ne s’en
est pas plus mal portée .." Voire ! ... La France-Mère-Patrie,
notion abstraite.. Mais qu’en a-t-il été des femmes espagnoles,
des femmes françaises, qui se trouvèrent sur le passage
des conquérants, et de nos soeurs sarrasines, abandonnées
? Non-dit ! occulté ! à la Trappe ! Le monde des mères,
des filles, des épouses, ne fait pas partie de l’Histoire.
Pour nous qui, à force de lectures, sommes persuadées
que l’exploitation des femmes par les hommes n’a pas toujours existé,
que c’est un avatar socioéconomique qui apparait avec la première
agriculture, les stocks, l’élevage, la sédentarisation,
l’appropriation, et qu’elle a précédé de très
longue date l’exploitation capitaliste qui s’en est inspirée,
il y a deux grilles de lecture de l’Histoire au quotidien, bien distinctes
: celle qui nous est racontée à la télévision,
tout comme l’Histoire de France : chefs, traitres, batailles, sacrifices
sanglants, holocaustes, victoires, pillages, viols, sabres et goupillons.
C’est ainsi que nous regardons, crédules encore, toutes sortes
d’émissions où s’affrontent des costumescravates qui refont
le monde autour d’une table. Puis parfois on sursaute il manque à
cette histoire la moitié de l’humanité, en filigrane,
une autre interprétation nous fait un clin d’oeil...