Le communisme en question


par  L. GILOT
Publication : mars 1990
Mise en ligne : 30 mars 2009

Les changements politiques intervenus dans les pays de l’Est posent un problème de fond : le communisme est-il viable  ?
L’application du marxisme-léninisme en URSS et dans les nations satellites n’a pas apporté la preuve qu’il est la meilleure solution dans les domaines des libertés républicaines et de la satisfaction des besoins courants des populations. Et il faut véritablement utiliser des lunettes roses pour affirmer que le bilan est globalement positif.
Bien sûr, il ne faut pas oublier l’importante contribution de l’URSS dans la victoire finale de 1945, après le fâcheux pacte germanosoviétique du 23 août 1939, puis sa rupture en juin 1941. On ne peut nier non plus les efforts accomplis et les résultats obtenus dans les secteurs éducatif, scientifique et technique. Mais les aspects négatifs du système communiste sont beaucoup plus nombreux, hélas !
Prétendre qu’on ignorait ce qui existait réellement sous la dictature stalinienne, et même après la mort de Staline le 5 mars 1953, dans les pays de l’Est, c’est adopter une position extrêmement confortable, qui dispense de l’autocritique, mais qui ne correspond absolument pas à la réalité historique.
Car enfin, depuis la guerre 1939-1945, de nombreux articles, reportages ou ouvrages ont dénoncé soit avant, soit après le rapport Kroutchev au 20e congrès du PCUS en février 1956, les pratiques totalitaires du stalinisme et des régimes communistes.
Je citerai entre autres livres : d’abord "Le zéro et l’infini’ d’Arthur Koestler (1945), "J’ai choisi la liberté" de Victor Kravchenko (1947). Après la mort de Staline sont intervenues les insurrections de Budapest en Hongrie enoctobre 1956, et de Prague en Tchécoslovaquie en août 1968, réprimées avec l’armée soviétique. A partir de la même époque sont parus dans des collections populaires comme celle du Seuil les ouvrages suivants
"Bilan de l’URSS 1917-1967’ de J.P. Nettl (1967), "Le stalinisme" de Roy Medvedev (1972), "Histoire des démocraties populaires" de François Fejto (1972), "Les procès dans les démocraties populaires" d’Annie Kriegel (1972) collection "Idées" Gallimard, "Le système totalitaire" d’Hannah Arendt (1972), "L’archipel du Goulag’ d’Alexandre Soljenitsyne (1974), "Les cinq communismes" de Gilles Martinet (1974), "Histoire du phénomène stalinien" de Jean Elleinstein (1976).
Enfin, qui n’a pu voir à la télévision le film "L’aveu" de Costa Gavras, tiré du témoignage d’Artur London, film interdit dans les pays de l’Est ?
Devant tous ces documents, comment prétendre aujourd’hui qu’on ne savait pas ? A moins que certains dirigeants politiques remplis de certitudes rejetaient alors ces travaux comme diffamatoires et se dispensaient systématiquement de les lire ou de les regarder ?
Autre élément évident, dans tous les pays communistes existait la suprématie du parti unique, et celui-ci conduit inexorablement à la dictature, qu’elle soit de droite ou de gauche, puisqu’il interdit toute contestation et toute constitution d’autres partis. Le multipartisme est d’ailleurs une revendication essentielle des pays ayant procédé à leur "libération". Cependant, il existe encore chez eux des discussions sur le rôle dirigeant du parti communiste.
Or la question essentielle est celle-ci comment se fait-il que dans les pays où le parti communiste avait tous les pouvoirs et notamment celui de l’organisation de l’activité économique, il n’ait pas réussi à satisfaire les besoins quotidiens des populations  ? La réponse est évidente. La collectivisation des moyens de production et en particulier de l’agriculture, et la planification centralisée à l’excès créent une bureaucratie plus ou moins compétente et budgétivore avec les gaspillages que cela comporte, une nouvelle classe de privilégiés, et suppriment et interdisent les initiatives individuelles. Or si l’on n’encourage pas l’effort de chacun, s’il n’y a pas de récompense financière (1) de cet effort, comment s’étonner ensuite de l’indifférence, voire de l’apathie des travailleurs non politisés et des producteurs ?
Le retour au capitalisme n’est évidemment pas la solution puisque dans les démocraties occidentales, si le standard de vie est nettement plus élevé, l’idée de participation et d’intéressement des travailleurs, chère au Général de Gaulle, n’a guère progressé. Et les problèmes du chômage, de l’emploi et de la pauvreté restent posés à l’aube de l’accélération de l’automatisation et de la robotique.
La solution, à l’Est comme à l’Ouest, réside vraisemblablement dans un système d’économie distributive mixte (2), et de cogestion des entreprises dans le respect des droits et devoirs de tous les partenaires sociaux.
Car pour l’instant le communisme politique n’a pas prouvé sa supériorité. Et les communismes de l’anarchiste libertaire Sébastien Faure, ou du christianisme primitif ne semblent guère applicables au degré actuel d’évolution des mentalités.

1) NDLR Nous avons tous été habitués à ne voir de récompense que financière. Est-il impensable d’en inventer d’une autre nature, telle qu’une remise de responsabilités, une promotion, etc ?
2) NDLR Il serait intéressant que L.Gilot nous explique ce qu’il entend par "économie distributive mixte