Belle flambée du pétrole...
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Publication : décembre 2000
Mise en ligne : 21 mars 2009
Quelques mois après la tempête, il n’est pas sans intérêt de faire le point sur la flambée des prix du pétrole, suivie fin octobre par celle du gaz (13 % après 6,5 % en mai, soit un total cumulé de 20 %).
Quand l’augmentation continue des carburants a commencé à susciter la grogne des usagers, au cours de l’été, période de grande consommation, notre ministre des Finances Laurent Fabius, tançant les pétroliers, leur demandait d’être “raisonnables”. Gesticulation : ou le ministre était impuissant et alors il fallait le dire clairement et désigner les pétroliers à la vindicte publique, ou il était peu ou prou complice. En effet, l’État, dont les taxes représentent près de 80 % du prix des carburants, n’était sûrement pas mécontent d’encaisser des milliards inespérés [1]. Pour la galerie, Fabius a menacé de saisir le Conseil de la concurrence et de créer une Commission d’enquête. Mais, comme disait Clemenceau : « Quand je veux enterrer un projet, je crée une Commission ».
En réalité, rien ne se passe pour contrer la flambée des prix jusqu’à ce que la crise éclate, puis déferle. « Gouverner, c’est prévoir » dit-on. Apparemment, ça n’a pas été le cas, ni de la part de Fabius, ni de la part du gouvernement. Lionel Jospin, dans sa “prestation” sur TF1, le 18 octobre, n’a-t-il pas avoué son manque de clairvoyance ?
Malgré une annonce d’augmentation de la production par l’OPEP (500.000 barils/jour) le brut a continué de monter pour atteindre 37-38 dollars le baril en octobre, alors qu’il avoisinait 10 dollars il y a deux ans. Tous les prétextes sont bons pour justifier cette fièvre, y compris l’attentat contre un navire américain dans le port d’Aden !!!
En France, devant l’ampleur des manifestations, l’État a surtout cédé aux réclamations corporatistes, camionneurs, marins pêcheurs, etc.… Puis, la pression continuant, il a fait une fleur aux consommateurs en modulant la taxe intérieure sur les produits pétroliers sur les variations du brut. Au départ, 20 centimes de moins, vite ramenés à 10 du fait de la nouvelle hausse du brut. Désormais, les nouveaux prix semblent durablement ancrés autour du niveau confortable atteint cet été (Le gaz a suivi en octobre. Pourquoi ? —Par une convention tarifaire entre l’État et GDF, selon Fabius). Il semble que le plan des pétroliers soit de contrôler les variations des cours du brut de telle façon qu’à l’avenir le prix du baril oscille entre un prix plancher de 22 dollars et un prix plafond (?) de 28 dollars. Si les prix montent trop (danger à la longue pour les économies), ils augmentent la production ; dans le cas contraire, ils la diminuent. (Des événements imprévus, incontrôlables, peuvent venir malmener ce plan ; c’est fréquent avec les prévisions d’experts).
Avec le recul, on voit mieux la manœuvre d’envergure à laquelle se sont livrés les pétroliers/marchés financiers : toute la pression des manifestants (des patrons) a été canalisée contre les taxes des États, jamais contre les augmentations scandaleuses des pétroliers. Jamais les manifestants n’ont mis en avant leurs bénéfices fabuleux ; c’est la presse qui l’a fait. L’objectif en effet était double :
1. faire admettre que, du côté des pétroliers, il n’était pas possible de faire autrement. Les arguments invoqués : croissance économique mondiale entraînant un fort accroissement de la consommation, investissements énormes pour poursuivre les recherches… et baisse de l’euro par rapport au dollar, monnaie utilisée dans les transactions pétrolières.
2. dénoncer les “insupportables” taxes des États sur les carburants, et leur faire supporter la baisse éventuelle des prix sous la pression des mécontents, pression rapidement étendue à l’Europe entière.
Baisse de l’EuroLes manœuvres spéculatives contre l’euro apparaissent de plus en plus clairement et s’inscrivent dans la “philosophie” des marchés financiers, les mêmes qui gouvernent le pétrole. On pouvait lire dans Le Monde du 27 octobre :« La Maison Blanche considère que le meilleur moyen de faire remonter l’euro serait, pour les gouvernements européens, d’engager des réformes de structure de leurs économies ». En clair, diminuer encore leurs dépenses sociales, privatiser davantage… pour faire fructifier, bien sûr, les fonds anglo-saxons et autres. Il est exact que l’euro est une des causes, mais non déterminante, de la hausse du prix du pétrole. Notons que si cette baisse de l’euro pénalise les importations, elle favorise les exportations européennes : Schröder en Allemagne et Arthus (Caisse des Dépôts) en France se réjouissent de la faiblesse de l’euro. |
Notre propos n’est pas de défendre les quelque 80 % de taxes qui sont en effet exorbitantes (en augmentation constante depuis des décennies, que les gouvernements soient de droite ou de gauche), mais de montrer la savante manœuvre des pétroliers et des marchés. En effet, ces derniers ont joué et gagné sur tous les tableaux :
1. le brut, passé en un an de 15 à 30 dollars et plus, TotalFinaElf a vite fait de récupérer les quelques centaines de millions qu’il a dû consacrer au pompage de l’Erika : en un semestre, TotalFinaElf aura engrangé 11 milliards de francs et son action a gagné 35 % depuis janvier.
2. le raffinage : ce sont les mêmes qui encaissent. Les marges sont passées de 74 en 1999 à 161 en 2000, comme au “beau” temps de la guerre du Golfe. BP estime que sa marge de raffinage a quadruplé au deuxième trimestre 2000.
3. la distribution au détail dans les stations appartenant aux sociétés pétrolières, sans concurrence sur les autoroutes (sauf un Leclerc).
Résultats : Shell annonce un bénéfice en hausse de 80 %, Exxon Mobil de 90 %, BP de 100 % et TotalFinaElf de…165 %. Et il faut savoir que Total à 70 % était aux mains d’actionnaires anglo-saxons qui le pressaient de “croquer” Elf (seulement…40 % de capitaux anglo-saxons). Combien d’automobilistes croient “rouler français” en remplissant leur réservoir chez TotalFinaElf ?
En conclusion, tout porte à croire que les prix de l’énergie fossile pétrole-gaz sont “installés” à un haut niveau pour longtemps après une opération menée “globalement” : c’est ça la mondialisation. Pour l’Européen moyen ou pauvre, la facture sera lourde et grèvera d’autant un “pouvoir d’acheter” déjà stationnaire. Mais c’est le dernier souci des grands spéculateurs…
[1] Les taxes sur les carburants représentent environ 10 % des recettes fiscales.