Etats généraux du chômage et de l’emploi
par
Publication : juin 1990
Mise en ligne : 17 mars 2009
Ces Etats Généraux ont eu lieu à la Plaine Saint-Denis, les 6 et 7 avril 1990. Ils étaient organisés par le Mouvement National des Chômeurs et des Précaires dont le président est Maurice Pagat. Les assises regroupaient de nombreux experts politiques, économiques, syndicaux, sociaux, universitaires et des chercheurs avec, accessoirement, des chômeurs. Ces derniers sont repartis fort déçus car, au-delà de quelques promesses d’examen de dossiers individuels, au-delà de mesures ponctuelles prises ou annoncées par les ministres présents, ils ont eu la sensation que notre société est organisée autour d’une acceptation de la masse de chômage existante. Beaucoup l’ont dit ; malheureusement ils n’étaient pas à la tribune et n’ont pu, comme nous, qu’intervenir sous forme de questions, c’est-à-dire trop peu de temps pour se faire entendre. Certains ont quand même fait remarquer, ce à quoi on ne pense pas toujours, combien le chômage crée d’emplois : ANPE, administrations diverses comme le RMI, l’assistanat social, spécialistes en tous genres : formateurs, formateurs de formateurs, etc, et auraientils pu ajouter : ministres et sous-ministres...
Des officiels
Les politiques eux, c’est-à-dire le premier ministre Michel Rocard,
en direct par satellite, s’il vous plait, depuis la Guyane, ainsi que
JeanPierre Soisson, ministre du Travail et de l’Emploi et Bernard Kouchner,
secrétaire d’Etat à l’Action Humanitaire ont pu s’exprimer
largement.
Interrogé par Maurice Pagat depuis la tribune, Michel Rocard
a dit quelques mots agréables de circonstance, mais a refusé
de prendre l’engagement de la reconnaissance du Syndicat des chômeurs
comme "organisation représentative" qui était
demandée par le président (1).
Dans la grande salle où avaient lieu les forums, Jean-Pierre
Soisson a présenté son plan pour l’emploi en seize mesures.
Certaines sont des voeux pieux. D’autres sont des cadeaux au petit et
au grand patronat : II y en a qui vont dans le bon sens, comme les encouragements
à l’aménagement et à la réduction du temps
de travail ou le freinage des heures supplémentaires. Enfin les
aides aux chômeurs de longue durée et la revalorisation
de la rémunération des jeunes stagiaires sont des secours
qui ne sont pas négligeables.
Bernard Kouchner s’intéresse surtout à l’amélioration
de la vie quotidienne des chômeurs, ce qui est tout à fait
louable en soi. II a fait état d’un grand nombre de décisions
de détail dans lesquelles nous ne pouvons entrer ici, mais qui
peuvent être bénéfiques pour les intéressés
et en tous cas saluées par eux comme une amélioration
par rapport au désintérêt des autorités du
passé. Le sous-secrétaire d’Etat a néanmoins conscience
de son peu de poids par rapport aux autres ministres. II joue les représentants
de la "société civile" un peu candide, ce dont
nous doutons, égaré au milieu de spécialistes chevronnés
de l’économie financière et de la politique. Accordons-lui
de la bonne volonté, tout en remarquant qu’il sert de caution
sociale à des gouvernants dont les décisions d’ensemble
ne vont pas toujours dans le même sens que les siennes.
Bertrand Fragonard, Délégué Interministériel
pour le RMI fut un peu chahuté par les représentants de
la Maison des Chômeurs de Toulouse. D’après lui, toutes
les anomalies signalées résultent d’erreurs malheureusement
très concentrées, mais ne rendant pas compte de la situation
d’ensemble.. II a cité le nombre de 480.000 ménages ayant
bénéficié du RMI en 1989, a affirmé qu’il
y avait 40 % de contrats d’insertion mais a soigneusement caché
le nombre de retours à l’emploi : 4.000 !
Jean-Baptiste de Foucauld est à la fois un officiel, puisqu’il
est annoncé Commissaire adjoint au Plan, et un associatif, puisqu’il
a présenté au cours d’un des nombreux "carrefours"
qui se tenaient dans des salles annexes l’association "Solidarités
nouvelles face au chômage". Nous ne sommes évidemment
pas contre ces souhaits. Nous admirons le dévouement et le dynamisme
de tous les bénévoles qui soulagent les plus démunis.
Mais nous disons que tout cela n’est pas à l’échelle du
problème posé, que la redistribution d’un revenu de plus
en plus affaibli par la réduction du travail obligé ne
peut être une solution. A la limite, c’est leurrer les chômeurs,
comme les pauvres, que de leur faire croire que la charité est
de nature à s’opposer efficacement au chômage ou à
la pauvreté.
Mais J.B. de Foucauld, s’il préconise d’entrer dans les vues
des productivistes et de gagner des emplois en France, n’en est pas
pour autant à court d’idées. Son action veut se placer
tous azimuts. N’est-il pas l’auteur, avec la commission gouvernementale
qu’il a animée, d’un rapport énumérant 146 propositions
qui se veulent les réponses de l’Etat et de la Société
civile aux problèmes des chômeurs. Comme on le voit "l’imagination
est au pouvoir", les soixante-huitards ont gagné. Chacun
est à même d’en juger les résultats.
Des experts
II y en eut, au cours de ces assises, de nombreux et de toutes provenances,
non seulement gouvernementaux comme nous venons de le dire, mais aussi
associatifs. Des individuels ou ceux qui ne se présentaient pas
au nom d’un groupe, fort peu ; ils venaient surtout des milieux religieux,
universitaires ou de la recherche, ce qui n’est d’ailleurs pas incompatible.
Au début du forum "Faire du partage notre loi" interrompu
par l’allocution de Michel Rocard, Henri Bartoli, professeur d’Université,
a manié quelques idées générales telles
le respect de l’autre, la justice sociale et l’universalité.
II a fait référence à Emmanuel Mounier et au personnalisme
ainsi qu’à la revue "Esprit". Appelant à une
économie d’expansion et de progrès, à une meilleure
formation et à une valorisation du milieu de travail à
travers une redistribution des revenus, il s’en est tenu à des
solutions globales et fort théoriques. Nous retiendrons qu’il
a exhorté les chômeurs à se battre et à retourner
le rapport des forces en leur faveur...!
Lors de la même réunion, Guy Roustang, Directeur de Recherches
au CNRS a invité les participants à donner des emplois
aux chômeurs, mais aussi la parole. II a poussé au partage
et également à l’agrandissement du "gâteau".
Evoquant l’idée selon laquelle la croissance, au-delà
de 3 % (2), devait entrainer une diminution du nombre des chômeurs,
nous ne saurons pas ce qu’il en pense car l’horaire impératif
du satellite coupa son exposé qui ne fut pas repris.
Un autre forum, qui nous intéressait particulièrement,
était consacré à "La révolution technologique
et ses conséquences pour l’emploi". Jacques Robin annoncé
fut malheureusement absent. Benjamin Coriat, professeur d’Université,
auteur de "l’Atelier et le robot" (3) a fait un rappel très
utile des vagues successives de progrès technique survenues depuis
la seconde guerre mondiale et de l’organisation du travail quia dû
s’y adapter. II a brossé un tableau des changements de comportement
entrainés par les modifications de l’appareil productif. Enfin,
cet intervenant a imaginé trois scenarios possibles pour l’avenir
de nos sociétés. Le premier ultra-libéral et dual,
à la mode des Etats-Unis, qu’il a qualifié de noir. Le
second libéral et assistanciel, qu’il peint en gris et vert.
Le troisième coopératif, de partage du travail, avec comme
modèles l’Allemagne et la Suède, qui aurait ses préférences.
Disons seulement que Benjamin Coriat n’est pas très ambitieux..
Quant à son analyse économique, elle est à peu
près absente. II constate seulement que l’après seconde
guerre mondiale fut une période de croissance qui a duré
une trentaine d’années et fut suivie par hasard ?- d’une ère
de stagnation. II ne voit pas que la crise finale de sousconsommation
du capitalisme a été seulement interrompue de 1939 à
1945, puis par le retour progressif à l’abondance et que nous
nous retrouvons maintenant, avec les mêmes problèmes que
ceux des années 30.
L’importance de l’innovation technologique a été aussi
relevée par Roger Sue, Maitre de Conférences à
l’Université Paris V. II a qualifié d’erreur de gestion
la formation pointue de techniciens à qui l’on n’offrira que
des emplois de service, peu qualifiés ; c’est du moins ce qui
est prévu pour l’avenir par les sondages auprès des employeurs.
II a attiré l’attention sur la reconnaissance nécessaire
du travail, actuellement non comptabilisé, au foyer ou par les
bénévoles. II envisage de créer des consommateurs
par le moyen d’une allocation universelle, ce qui est un point positif
par rapport aux autres experts. A la fin de ce forum, nous n’avons pu
que marquer notre étonnement de constater que personne ne songeait
à mettre en cause le régime économique qui conduit
aux difficultés auxquelles personne, à notre avis, ne
proposait de remèdes efficaces. Puis nous avons avancé
que peut-être... l’économie distributive. Mais tout cela
en trois ou quatre phrases au cours de la discussion générale.
Des associations
Elles sont nombreuses. Certaines avaient participé à l’organisation
des assises. La loi de 1901 fait en ce moment un succès sans
précédent. Sur de vagues idées, des personnes créent
un groupement, un comité, un mouvement avec président,
secrétaire général, un bureau, etc... Peu importe
la solidité des propositions, l’essentiel est de réunir
et de trouver des auditoires. La plupart de ces actions sont éphémères,
d’autres se maintiennent. Quelques groupes découvrent bientôt
qu’il leur manque une doctrine économique. On fait parfois appel
à nous ou on nous "emprunte" des thèses. Au
lieu de commencer par s’informer de ce qui existe déjà,
l’on se précipite. Ne découvre-t-on pas rapidement que
cette prolifération et cette dissémination des efforts
est préjudiciable ? Qu’à cela ne tienne, chacun appelle
les autres à se réunir autour de lui. Sans succès
d’ailleurs puisque l’on tient très fort à son particularisme
et à ses adhérents. Au contraire, à l’intérieur
de beaucoup d’associations, des sousgroupes se forment chacun tirant
de son côté. Certains se réjouissent de cette diversité
et de cette richesse. C’est à voir...
Sans compter les initiatives qui n’ont pour but que de saper les organisations
existantes par la tactique ancestrale de la division. D’où vient
l’argent ? les moyens ? Mystère .. quelquefois éclairci,
mais trop tard ; le mal est fait...
Même si la volonté n’est pas de nuire, on ne peut que noter
cette curieuse méthode ou plutôt absence de méthode
du temps présent voué à la personnalisation, à
l’égoïsme et à l’absence de solidarité. Et
souvent le but affiché est l’entr’aide, le secours...
Ces considérations d’ensemble ne s’appliquent pas forcément
aux groupes dont nous allons parler maintenant et que nous avons choisis,
parmi d’autres, en fonction de nos disponibilités et de l’opportunité
du moment.
Ainsi Hubert Landier, directeur de "Management et conjoncture sociale"
a insisté sur le danger du tout à l’entreprise et du chacun
pour soi. Guy Lacroix a invité, sans plus, à une réinterrogation
sur les circuits monétaires.René Macaire des réseaux
"Espérance", théologien, a déclaré
que le chômage est le symptôme d’un refus d’évoluer.
François Plassard de l’Association "Temps .. Territoires"
et Philippe Riché d"Aldéa", ont évoqué,
dans un carrefour, le rôle de l’économie alternative pour
la création de nouvelles activités. Aldéa cherche
à "redonner un sens à l’économie en la recentrant
sur l’humain" et pousse au partage du travail par une "nouvelle
articulation salariat-bénévolat". F. Plassard travaille
sur le développement local par le moyen du "chèque
innovation" qui serait une façon de soutenir la mise en
oeuvre de nouvelles entreprises à un coùt inférieur
à celui du chômage.
Le Mouvement 4 x 8 revendique la réduction du temps de travail
afin que chacun, par de plus hauts salaires, puisse bénéficier
des nouvelles techniques d’automatisation. Ses responsables n’expliquent
pas comment la moyenne des entreprises fera, alors, pour résister
à la concurrence des travailleurs forcenés du Japon et
des sous-payés d’Extrême-Orient ou d’Afrique. Le Comité
chrétien de Solidarité avec les chômeurs comme son
nom l’indique ? Enfin Yoland Bresson (4) a pu exposer son projet et
celui de I"Association pour un revenu d’existence" qu’il anime
avec Henri Guitton. Nos lecteurs savent que si ces personnalités
sont assez de notre avis sur l’analyse que nous faisons des causes de
nos maux, elles ne nous suivent pas dans la partie constructive de nos
propositions. Elles préfèrent en rester à la redistribution
d’un revenu d’existence qui correspondrait au temps gagné grâce
à l’intervention des automatismes dans le processus de fabrication.
Il est vrai que ce revenu identique pour tous, donc à première
vue injuste, serait en fait repris aux plus aisés, presque en
totalité, par le moyen de l’impôt.
Sans espérer clore ici une discussion qui serait trop longue,
nous pensons néanmoins que, dans notre système économique,
ce modeste revenu de l’ordre de 1800 F. par mois (5), diton, serait
bien insuffisant pour les plus démunis et d’ailleurs repris par
l’inflation qui absorbe vite tous les avantages consentis pour redistribuer
les revenus.
A notre question, Yoland Bresson a renouvelé publiquement l’hommage
à Jacques Duboin, déjà rendu par lui-même
et Philippe Guilhaume dans leur ouvrage "Le Participat". S’il
considère J. Duboin comme un précurseur, il le pense maintenant
dépassé. Nous n’avons pas pu répondre car nous
n’avions plus la parole, mais nous considérons, évidemment,
que loin d’être dépassée, l’économie distributive
était tellement en avance sur le siècle qu’elle le reste
encore, sauf à considérer que le régime capitaliste
est le seul qui soit moderne...!
Ce compte rendu des Etats Généraux du Chômage et
de l’Emploi est tout à fait subjectif. II ne rend pas compte
de toutes les interventions. II a fallu faire un choix.
En marge du Congrès, nous avons pu avoir un entretien cordial
avec Maurice Pagat. Nous lui avons fait part de notre regret de n’avoir
pu participer plus largement. Ce n’est pas exclu lors de la prochaine
session. De plus, le président nous a offert spontanément
de publier un article sur l’économie distributive dans Partage.
Il est écrit et transmis. Nous pensons qu’il apportera aux chômeurs
un espoir réel de changement. Les autres lecteurs disposeront
également d’une information qui leur manque souvent, ce qui occasionne
la propagation de fausses idées sur notre doctrine, nous avons
pu le constater de nouveau au cours de ces rencontres.
(1) Son acceptation aurait donné l’accès
du syndicat à certaines élections professionnelles et
sociales et à des subventions plus importantes.
(2) Rappelons que la croissance fut de 3,7 % en 1989 après 3,8
en 1988. Les meilleurs économistes (!) avaient prédit
qu’audessus de 3 °/ , le chômage diminuerait. Encore une fois
leurs prévisions se sont révélées fausses,
le nombre des demandeurs d’emploi n’a pas baissé de manière
significative et celui des chômeurs de longue durée a augmenté.
(3) Editions Bourgeois
(4) Voir G.R. n° 861
(5) Etant entendu que les autres prestations sociales sont supprimées,
mais pas l’assurance-maladie.