L’ère du quaternaire
par
Publication : novembre 1985
Mise en ligne : 16 mars 2009
Le « cahier saumon » du Figaro (10-11
Août 1985) aborde un sujet capital « Le tertiaire perd du
terrain ». C’est le glissement vers les « dégraissages
» du seul secteur susceptible, ces dernières années,
de créer des emplois « rentables ». Il y reste des
créneaux aux effectifs insuffisants, pour lesquels les clients
risquent de manquer, si l’emploi continue à se dégrader.
La menace, venue du développement de la carte de paiement (c’est
pour demain), pèse sur le secteur bancaire. Des somptueuses installations,
resteront quelques salons d’où des cadres, grâce aux «
Maxitel télévisuel », interviendront directement
en Bourse, et, aux sous sols, dans les salles d’ordinateurs, surveillées
par quelques spécialistes hautement qualifiés, les machines
auront relégué aux musées de l’histoire récente,
tout l’attirail de chèques, comptes, bilans, calculatrices et
stylo-billes en usage de nos jours. Pour peu de temps encore.
Après l’agriculture et l’extraction (secteur primaire), l’industrie,
le bâtiment, les Travaux Publics, l’agroalimentaire (secteur secondaire),
dont la réduction des effectifs est déjà faite,
ou douloureusement en cours, les services sont touchés. Pour
la première fois, la grande presse y fait écho. Il faut
essayer de savoir pourquoi.
L’inexorable avancée des progrès technologiques atteint
maintenant les domaines de l’intelligence. Là, où l’homme
avait sa place, par l’esprit, le robot joue pour lui et l’évince.
Si le secteur tertiaire continue à décroître, c’en
est fait de l’espoir de voir reculer le chômage. Sauf à
changer, fondamentalement les idées reçues de revenu,
rentabilité, salaire, emploi, occupation, droit au travail.
Une redéfinition, un reclassement, une nouvelle échelle
de leurs rapports sont indispensables. Là est « l’approche
psychologique du chômage ». Un changement des mentalités.
Oeuvre de longue haleine. Epreuve harassante. Inéluctable.
Faisons le tour des idées reçues à réviser.
Rentabilité. Au regard de l’économie de marché,
c’est le seul critère acceptable pour engager une action, lancer
une production, assurer un service. Ce qui n’est pas rentable ne peut
être entrepris.
Exemple : débroussaillage des forêts, signalisation fiable
pour les trains sur voie unique, accompagnement fiable des personnes
agées solitaires, alphabétisation des illettrés,
formation du tiers monde etc..., etc...
Revenu. Salaire. Emploi. Ces trois idées sont liées, pour
la quasi totalité des citoyens d’un pays industrialisé,
le revenu - nécessaire pour « solvabiliser » les
besoins en biens et services - vient d’un salaire rémunération
d’un travail dans un emploi. Pas de travail, pas de revenu. Le chômeur
subvient à ses besoins grâce au jeu de la solidarité
nationale. C’est un assisté. Il a perdu sa « signification
» dans une société où revenu et travail sont
liés. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».
« Qui ne travaille pas ne mange pas ». Ces aphorismes sont
encore au fond de la plupart des consciences.
Pour rendre- leur dignité aux exclus de la production, il faut
dissocier la notion de revenu de la notion de travail. C’est fait pour
certains cas : minimum vieillesse, chômeurs en fin de droits,
handicapés, femmes chargées d’enfants. Piste ouverte vers
le revenu social dû à chaque citoyen du fait de sa naissance
ou de son adoption.
Droit au travail : Inscrit dans la Constitution, il est dérisoire,
sinon ridicule, lorsque plus d’un « actif » sur dix est
condamné à l’oisiveté, un quinquagénaire
expérimenté devient un inutile hargneux, un jeune inoccupé
fait un délinquant en puissance.
Occupation. Face aux méfaits du chômage, on est confondu
devant la masse des actions de toutes natures à entreprendre,
rendues impossibles parce que non rentables.
Associer, pour chaque individu apte, le droit au travail à l’obligation
d’une occupation utile à la collectivité nationale est
un moyen de sortir du cercle vicieux où nous sommes enfermés.
L’ERE DU QUATERNAIRE est LA !
Je n’ai pas compétence à définir,
dans le détail, les structures, les contours de ce quatrième
secteur. Pas davantage les modalités de son insertion dans le
système complexe. Les rapports entre individus et nations. Un
tel « changement des mentalités » est oeuvre d’éducation
progressive des gens et des peuples.
J’ai exposé, par ailleurs, des suggestions pour une indispensable
transition. Des structures d’aujourd’hui, gérant, (si mal, une
« Crise » qui est « autre chose ») vers celles
(si dures à définir) prenant en compte la « Nouvelle
donne » imposée par la fulgurante explosion des progrès
des technologies.
Je crie à nos dirigeants
« Si vous passez à côté du « quaternaire
», seul capable de permettre ce que l’économie de marché
vous interdit : « c’est-à-dire :»
« Au plan international, Produire pour donner à ceux qui
manquent, non pas nos méthodes mais les moyens d’assurer eux-mêmes
leur survie d’abord, puis leur insertion dans le monde moderne ; »
« Au plan national, vaincre la nouvelle pauvreté et donner
aux assistés leur nouvelle signification ; »
« Si vous ne parvenez pas à organiser, - par là,
le temps disponible (entrevu par Karl MARX comme étalon de la
vraie richesse, aujourd’hui à nos portes ; »
« Vous serez complices, donc responsables, de l’effondrement de
la civilisation occidentale. »