Le président G. Comte récidive !


par  G. COMTE
Publication : août 1985
Mise en ligne : 13 mars 2009

A l’occasion de la rentrée du Tribunal de Commerce de Bastia, son président M. Gérard Comte a prononcé un discours particulièrement intéressant mais que nous ne pouvons pas publier in-extenso à cause de sa longueur. Nous en extrayons ci-après les passages qui nous ont semblé les plus significatifs.

« Vouloir créer des emplois est la plus monumentale « idée fausse ». Il faut bien admettre que le chômage est une conséquence des applications grandissantes du « PROGRES TECHNIQUE » exactement comme la pluie est la conséquence de la vapeur d’eau contenue dans les nuages.
On ne peut empêcher ces phénomènes de se produire quand existent les conditions qui les provoquent ».
« Dès 1956, DANIEL ROPS écrivain d’éthique chrétienne écrivait au sujet de l’automation « Qu’est- ce que l’automation ? » Le processus qui peu à peu et de plus en plus vite dans toutes les formes de l’activité pratique tend à remplacer le travail humain par celui de la machine. A ce moment là à moins de tuer tous les hommes il faudra bien dissocier le droit à la vie du droit au travail... L’adaptation de l’humanité à l’automation ne se fera pas sans graves crises... C’est tout un système économique et social qui est à penser en fonction de l’automation nécessaire et inéluctable, et c’est ainsi dans la mesure où ils seront capables de le penser et de s’y adapter que les peuples demain seront grands ou disparaîtront ».
Nous voyons bien que la pensée politique née de la révolution industrielle du 19e siècle est devenue archaïque : les automates et les ordinateurs sont en train de la tuer. Car il est désuet à présent de parler de l’exploitation des travailleurs puisqu’ils sont devenus inutiles, les robots travaillant à leur place dans tous les milieux, sous la pluie, dans la poussière, dans une atmosphère de four ou de glace, sur terre, sous les mers, dans l’espace.
Les véritables « damnés de la terre » ne sont plus aujourd’hui ceux qui travaillent mais ceux qui sont abandonnés sur le bord de la route par la société qui poursuit le chemin de sa transformation vertigineuse pour beaucoup trop d’entre nous. »
Et plus loin le Président COMTE donne un exemple de la stupidité des solutions que l’on propose lorsqu’on veut s’obstiner à utiliser les règles économiques maintenant dépassées.
« Nous sommes à Bastia une cité maritime où les conditions d’approchés sont très importantes. En 1972 le problème suivant se posait :
Par suite de la mise en service des bateaux à manutention horizontale, de l’arrivée du ciment en vrac qui pouvait être refoulé par pulsion à air jusque dans les silos de TOGA, par suite de la mise en service du chai à vin qui permettait de charger le vin sur les pinardiers par simple écoulement gravitaire ; pour ces raisons là la manutention sur les docks réservée depuis 1947 aux seuls dockers exigeait de moins en moins de main d’oeuvre. De telle sorte que les 3/4 de leur temps les dockers étaient inoccupés.
Or la caisse de compensation du B.C.M.O. (bureau central de la main d’oeuvre) ne garantissait le paiement que du 1/4 du temps inoccupé  ; or une loi de 1969 assurait un seuil de ressources. De plus il est interdit de licencier un docker professionnel. Que faire ?
Une longue séance de travail eut lieu à Bastia au service du port de la D.D.E., où assistaient le DIRECTEUR de la D.D.E. de la Corse, les professionnels du B.T.P., les marchands de matériaux, les viticulteurs, la Chambre de Commerce, le syndicat des dockers, et votre serviteur alors Président du syndicat des entrepreneurs, qui suggéra la création des emplois factices suivants  :
les dockers regarderaient (en fait ils né regardent même plus) les tuyaux reliant les conteneurs sur les bateaux, et les silos de Toga pendant que le ciment serait pulsé, et ce travail fictif leur serait payé comme si le ciment était transporté par eux en sacs depuis les bateaux jusqu’aux silos.
De même pour le vin.
Une taxe importante fut créée sur ces « manutentions » pour rémunérer ce soit-disant travail, les usagers finalement supportent cette taxe. Notons au passage que NICE avait fait de même.
Nous pourrions ainsi énumérer des dizaines, des centaines, voire des milliers d’emplois factices pour des travaux fictifs. »
L’inanité de ces solutions conduisit un groupe de Bastiais se connaissant bien à créer « UN GROUPE DE REFLEXION  » qui travailla pendant 6 ans à raison de plusieurs réunions par trimestre sur les problèmes posés par l’automation...
« Notre réflexion a été suscitée au départ par le manque de logique qu’il y a actuellement entre :
D’une part, le fait que le progrès technique en mécanisant la production, remplace le travail de l’homme par celui de la machine, et donc aboutit forcément à une diminution de travail humain, à une suppression d’emplois.
D’autre part, le fait que, en compensation, on s’ingénie à susciter des emplois pour remplacer ceux qui ont été supprimés.
On peut se demander si cette contradiction est simplement apparente (par exemple : les emplois créés « en compensation » n’aboutissent-ils pas à une plus grande production de biens pour une vie meilleure ?) ou, si la contradiction est réelle, du fait que les emplois créés « en compensation » sont des emplois factices débouchant sur un travail fictif, qui n’a d’autre but que de permettre une rémunération jugée indispensable pour permettre de participer à la répartition des richesses, produites par le travail véritable (en particulier celui des machines). »
« L’analyse de la contradiction signalée, montre qu’elle est effectivement réelle et double. En effet, d’une part, les emplois créés (en particulier dans le tertiaire) sont en grande partie factices, et, d’autre part, ceux des emplois créés qui sont productifs ne sont pas orientés vers une vie meilleure (production de biens peu durables, ou incitation parla mode, gadgets, etc...).
Il en résulte que cette contradiction est scandaleuse (au sens fort du terme) et donc inadmissible. Ceci implique qu’il faut s’attaquer à l’un et l’autre de ces termes : la mécanisation, ou la création d’emplois.
Il parait difficile de discuter la légitimité de la mécanisation ; ce serait remettre en cause tout le progrès de l’être humain depuis son apparition sur la terre. On arriverait à cette conclusion que l’homme ne doit pas se servir de son intelligence pour améliorer ses conditions de travail ; le simple énoncé de cette conclusion dispense de discuter plus avant de la légitimité de le mécanisation.
Mais alors, on est forcément conduit à admettre, pour éviter la contradiction signalée, que la création d’emplois factices en compensation n’est pas légitime. il ne sert à rien d’appliquer la politique de l’autruche pour essayer de ne pas voir cette « illégitimité ». Il faut au contraire aller jusqu’au bout de ce qu’elle implique :
Si la création d’emplois factices est illégitime, c’est parce qu’elle est absurde.
Dès lors, il est indigne de l’intelligence humaine de s’entêter dans cette solution sous prétexte que l’on n’en a pas d’autre sous la main en ce moment. On peut faire confiance à l’homme pour trouver une solution, mais à la condition indispensable pour y arriver, de ne pas se dissimuler l’énoncé du problème, même s’il heurte toute notre éducation personnelle et atavique.
Ce problème n’est pas un problème de production qu’il faut résoudre par un accroissement du travail et des emplois (la machine et la technique ont des possibilités quasi illimitées). C’est un problème de répartition de cette production. Sa solution réside dans le choix d’un critère de cette répartition. »
Et à partir de là, M. COMTE propose une solution qui n’est autre que l’économie distributive. Puis il conclut :
Nous le voyons, les années à venir nous obligeront à nous surpasser ; il est à craindre « un naufrage des états  », un trop grand nombre de personnes s’occupant de la chose publique (surtout avec la régionalisation) l’état deviendrait ingouvernable.
Il faudra peut-être un organisme central où la monnaie électronique aidant, toutes les transactions ayant été informatisées, on pourra suivre l’évolution des échanges économiques.
Rêveries, certains diront rêveries, mais qui sonnent autrement que celles teintées d’un flou littéraire et sociologique de ceux qui ont essayé jusqu’ici d’imaginer la société de demain.
Rappelons-nous avec Jules Verne que tout ce qui a été fait dans ce monde l’a été au nom d’espérances exagérées. Tout ce qu’un homme est capable d’imaginer, d’autres hommes sont capables de le réaliser.
Ne désespérons plus la société par la création d’emplois factices pour des travaux fictifs !

(*) Nous avons déjà publié dans la G.R. n° 796 de Mars 1982 un discours « distributiste » de M. Comte, sous le titre « Le Tribunal est prévenu ».