Non !


par  J.-P. MON
Publication : juin 1985
Mise en ligne : 11 mars 2009

Ainsi donc, à Bonn, le front européen s’est désintégré avant même que commence le « sommet » des sept pays les plus industrialisés du monde.
A peine Reagan était-il arrivé que Mme Thatcher et le chancelier Köhl acceptaient d’ouvrir rapidement de nouvelles négociations avec le GATT (institution internationale chargée d’administrer l’accord sur les tarifs douaniers et le commerce) et cela sans aucune négociation monétaire comme le demandait la France. Même chose en ce qui concerne la « guerre des étoiles », chère à Reagan. On pouvait facilement prévoir le comportement de la Grande-Bretagne puisqu’on sait depuis longtemps que ce pays est un bastion avancé des Etats-Unis en Europe et que Mme Thatcher ne peut rien refuser à Reagan. (S’il y a d’ailleurs un point - le seul peut-être - sur lequel j’ai approuvé de Gaulle, c’est bien celui de refuser l’entrée de la Grande-Bretagne dans le marché commun !). Par contre, à première vue, l’attitude du chancelier allemand peut paraître surprenante, mais à première vue seulement. C’est qu’en effet il existe en Allemagne de l’Ouest un nationalisme de gauche et un nationalisme de droite. Pour le courant de gauche, l’Allemagne doit occuper une position centrale en Europe (ni à l’Est ni à l’Ouest). Le courant de droite, « revanchard », se manifeste abondamment au sein du parti du chancelier Köhl, qui, soucieux d’éviter les divisions, ne le fait pas taire. Ce courant renoue avec la croisade anticommuniste des années 50 et tient pour prioritaire l’alliance avec les Etats-Unis. Il se méfie de l’Europe par crainte qu’elle n’affaiblisse cette relation prioritaire et idéologique. Ce courant flatte un électorat dans lequel la capitulation de 1945 a laissé un souvenir amer et qui voudrait pouvoir être allemand sans honte et sans mélange. D’où la visite de Reagan au cimetière de Bitburg où sont enterrés des SS dont certains de la célèbre division « Das Reich » qui s’illustra comme on sait à Oradour sur Glâne. Mais pour Reagan, Oradour c’est bien loin de la Californie.
A Paris, qui est quand même plus près, les députés de droite présents à la séance du parlement du 2 mai, ont préféré, à l’instigation de J.-C. Gaudin, quitter l’hémicycle pour ne pas avoir à se prononcer sur l’opportunité de respecter une minute de silence à l’Assemblée le 7 mai à l’occasion de la Journée de la Déportation...

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Le « non » de Mitterrand à Reagan sur la fixation d’une date pour l’ouverture de négociations commerciales en réponse au refus de Reagan d’envisager des discussions monétaires aura au moins eu le mérite d’animer la vie politique intérieure des Etats-Unis. En effet, le Sénat a appelé le 15 mai à « une intervention concertée de Washington et des capitales occidentales sur les marchés des changes afin de faire baisser le dollar. Cela ne plaît pas du tout à l’administration Reagan qui est, par principe, hostile à toute intervention. C’est d’autant plus important que le Sénat américain est à majorité républicaine. Le fait qu’il n’ait pas hésité à s’opposer à la Maison Blanche sur un point fondamental du credo libéral qu’on y professe revèle bien la profondeur du malaise créé par un déficit commercial qui pourrait, cette année, atteindre le niveau record de 140 milliards de dollars. Dans les milieux d’affaires et dans les syndicats les critiques contre le statu quo monétaire prennent parallèlement une ampleur de plus en plus grande.

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En attendant que la politique libérale de Mme  Thatcher porte ses fruits, le chômage continue à augmenter en Grande-Bretagne : 30.000 de plus en un mois, ce qui porte le total à trois millions cent soixante dix sept mille deux cents, soit 13,1 % de la population active. Quant à Reagan, il continue à ramasser des vestes : le Sénat, pourtant à majorité républicaine, vient de limiter la hausse du budget du Pentagone au niveau de l’inflation au lieu des 3 % réels que souhaitait le président. « Il est illusoire d’espérer que les Américains vont accepter d’énormes coupes dans les dépenses civiles tandis que le budget du département de la défense continuera de s’accroître » a déclaré le sénateur républicain, auteur de l’amendement.
Aux Etats-Unis toujours, trois actrices américaines sont venues le 6 mai témoigner devant la Chambre des Représentants pour tenter d’expliquer aux élus américains la gravité de la crise de l’agriculture. Le promoteur de l’idée pense que « ces actrices ont probablement une meilleure compréhension de problèmes de l’agriculture que l’acteur de la Maison Blanche  ».
En tous cas, je vous recommande vivement d’aller voir le film «  Country, les moissons de la colère » dans lequel joue une de ces actrices, Jessica Lange.

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Alors que la droite française ne cesse de crier à l’insécurité, ses représentants au Sénat protestent contre le projet de loi tendant à limiter la publicité pour les armes à feu. Ces bons apôtres sont inquiets du préjudice que la réglementation envisagée pourrait porter à certaines industries (Lucien Neuwirth, RPR) et à l’atteinte aux libertés du commerce que le projet contient (Roland du Luart, RI). C’est aussi ça le libéralisme économique  !

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En Suède les élections législatives vont avoir lieu dans quelques mois. Et que pensez-vous que soit le programme des conservateurs ? Comme partout ailleurs : réduire sensiblement les impôts, privatiser les entreprises et offices publics, opérer des coupes dans les dépenses de l’Etat, favoriser la création de crèches, garderies et écoles privées, briser le monopole de la radio-télévision et y introduire la publicité. En un mot, les conservateurs, les « bourgeois  » comme on les appelle en Suède, pensent que leurs concitoyens sont trop protégés et que ça lés empêche de décider de leur propre vie...
Mais, heureusement pour les Suédois, l’opposition conservatrice est, comme en France, divisée.