Témoignage


Mise en ligne : 28 février 2009

Le Parisien, France Inter, l’AFP, ont annoncé mardi 20 janvier « la mise en examen de Gérard Filoche ». Le témoignage de cet inspecteur du travail, diffusé par mail, est à méditer :

« … Muet lorsque je dénonce la délinquance patronale, Le Parisien répercute l’annonce qu’un gros patron de la rue de la Paix a réussi, en se portant partie civile, à me faire “mettre en examen”. Le prétexte est rocambolesque : j’aurais fait entrave au comité d’entreprise ! Moi, gêner un comité d’entreprise ? Et puis quoi encore ? S’il y a eu un comité d’établissement au siége de l’importante société de cosmétique Guinot-Marie Cohr, c’est parce que, en tant qu’inspecteur du travail du secteur, j’ai insisté pour qu’il soit mis en place, car la direction n’en voulait pas !

Mais ils ont réussi à ce que ce CE soit ce qu’on appelle les “CE bidons” : il ne comporte que 2 membres totalement soumis à la direction au point de ne jamais fonctionner, sauf pour donner un “avis favorable” à un licenciement d’une déléguée syndicale … ce qu’il a fait à deux reprises.

Cette déléguée est … une femme, d’origine arabe, de retour de congé maternité, dont l’entreprise a voulu se débarrasser après 6 ans de bons et loyaux services. Pour la pousser dehors, elle qui s’occupait de la zone commerciale du grand orient, ils l’ont mise à une zone Amérique latine-Pacifique qu’elle ne connaissait pas et dont elle ne parlait pas la langue, ce qui lui demandait deux fois plus de travail. Plutôt que de lui redonner son poste après son congé maternité, ils y ont mis des intérimaires. (C’est de plus en plus fréquent, il faudrait une loi pour protéger les femmes de retour de maternité)… Ils m’ont demandé trois fois de suite l’autorisation de la licencier, la dernière en juin 2004, sous un prétexte kafkaïen, après l’avoir, cette fois, « mise à pied » (privation de salaire), ils ont fait traîner la procédure, négligeant de tenir le CE prévu début juillet. Si je n’étais pas intervenu, ils la laissaient tout l’été sans salaire. Déjouant ce qui était manifestement une sale pratique de la direction, j’ai exigé que le CE se tienne vite, formalité nécessaire, et qu’ils me saisissent vite. Ils ne l’ont fait que le 24 juillet alors que je partais le 26 en congé. Alors j’ai hâté la procédure, je suis allé dans l’entreprise faire mon “enquête contradictoire” légale, prendre acte que le CE avait voté, et pris ma décision de refus d’autorisation de licenciement le lendemain, pour que l’employée retrouve un salaire fin juillet. Alors que je n’étais absorbé que par mon “enquête contradictoire“ pour obtenir le maximum d’éléments et rendre imparable, juridiquement, le refus de licenciement, l’avocat de Guinot, qui se vante dans le Parisien de ma mise en examen, a tenté de mêler la proximité physique de mon enquête, ce matin-là, à la tenue du CE, pour inventer que j’avais “fait du chantage” au CE. Après quoi le Procureur a amélioré la saisine initiale avec un “réquisitoire supplétif” pour “entrave au CE”.

Reprocher à un inspecteur du travail “une entrave” au CE !!

Le ministère a cassé ma décision (ce n’est, hélas, pas le seul cas). Pourtant, tout ce qui s’est passé, d’un bout à l’autre dans cette affaire, aurait dû donner raison à l’employée. Le fait que le Tribunal administratif ait confirmé le ministère me stupéfie. Je ne sais pas si cette salariée ira en Conseil d’État, mais elle est tellement dans son bon droit que cela mériterait d’être tenté.

Le juge m’a convoqué pendant 5 heures le 7 mars 2007, alors que je revenais de Périgueux où avait été jugé et condamné l’assassin de deux de mes collègues (à Saussignac le 2 septembre 2004). Je l’ai surpris en lui apprenant un point de droit qu’il ignorait : un avis du CE favorable au licenciement d’un délégué n’est qu’un élément indicatif et ne s’impose pas à l’Inspection du travail. Entre ce 7 mars 2007 et le 21 novembre 2008, n’entendant parler de rien, je croyais légitimement la plainte pour “chantage” mort-née ! »

G.Filoche commente : « Si des patrons réussissent… à faire convoquer des inspecteurs du travail devant les juges, c’est le contrôle de tout le droit du travail qui sera entravé, et non pas un CE bidon. »

Cherchant à comprendre, il évoque l’attitude du Directeur Général du travail avec lequel il est en conflit idéologique ouvert. Il insiste sur le fait qu’un inspecteur du travail est indépendant selon la convention 81 de l’OIT.

Et il explique : « Nous sommes indépendants mais pas neutres. Nous avons pour mission “d’alerter les gouvernements en place sur le sort qui est fait aux salariés”. Nos assujettis ce sont les employeurs, pas les salariés. C’est aux employeurs que nous devons faire respecter le code du travail de la République. Il faut de l’imagination, pour me mettre, moi, à six mois de ma retraite, après trente ans de métier, en examen, pour “entrave à un CE” !

À l’émission Ripostes, le 10/12/2006, N. Sarkozy m’avait dit « Je ne partage pas votre détestation des employeurs, M. Filoche ». Je ne déteste pas les employeurs sauf ceux qui trichent et spolient leurs salariés de leurs droits. Je fais mon métier avec d’autant plus de vigueur que la délinquance patronale augmente considérablement, que le droit du travail est foulé aux pieds, méprisé bien au-delà de mon secteur (qui s’étend sur 4.500 entreprises et 45.000 salariés)… »