Au fil des jours
par
Publication : juillet 1982
Mise en ligne : 26 janvier 2009
On nous donne souvent les Etats-Unis comme modèle de démocratie. Jugez-en : par le biais de règleorientations locales tortueuses, de nombreux Noirs sont tenus à l’écart des urnes et même des listes électorales. Dans certains comtés dominés par les électeurs noirs, les urnes sont tenues par des prêteurs sur gages que leur clientèle noire ne veut pas prendre le risque d’indisposer, ou bien elles sont installées dans des quartiers purement blancs, ou même chez des particuliers dont les noirs pauvres n’osent pas franchir le seuil. Même la reconduction de la loi sur le droit de vote des Noirs prévue pour août 82 fait l’objet de nombreuses pressions de la part des éléments les plus conservateurs du parti républicain.
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Toujours aux Etats-Unis, Reagan a peut-être réussi à
maîtriser spectaculairement l’inflation, mais au prix d’un chômage
qui touche près de 10 % de la population active dans son ensemble
(dans la population noire, ce pourcentage est beaucoup plus élevé).
6 200 sociétés ont fait faillite au cours des 14 premières
semaines de 1982, ce qui représente une augmentation de 55 %
par rapport à la période équivalente de l’année
dernière, elle-même en hausse de 45 % par rapport à
1980. Les sec leurs les plus touchés sont les transports aériens,
l’automobile, la sidérurgie, le bâtiment, les bois et papiers.
Trois grosses compagnies frôlent la banqueroute : International
Harvester (machines agricoles), Braniff (transports aériens)
et A.M. International (équipements de bureaux). Les autorités
américaines prennent des mesures pour éviter qu’une faillite
spectaculaire ne provoque un mouvement de panique sur les marchés
financiers. Comme quoi le principe de la libre entreprise peut subir
bien des accommodations...
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« L’insécurité dans l’abondance », c’est
le titre d’un article de P. Drouin dans « Le Monde » du
5-3-82, titre qui n’est pas sans nous rappeler « Kou l’Ahuri ou
la misère dans l’abondance » écrit par J. Duboin
en 1934. Il n’aura donc fallu que 50 ans ou presque, pour que soit reconnue
cette idée de misère dans l’abondance
P. Drouin, donc, nous rappelle que la pauvreté n’a pas disparu
en France depuis le 10 mai 1981, bien que notre pays soit le premier
en Europe Occidentale pour la hausse du pouvoir d’achat en 1981 (2,3
%) alors que la baisse est générale, sauf en Grande-Bretagne
où elle a difficilement atteint 0,3 %.
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L’essentiel de l’analyse de P. Drouin est tiré d’un ouvrage
de S. Milano, intitulé « La pauvreté en France »
qui montre que la « nouvelle pauvreté est caractérisée
par la dépendance et l’insécurité (économique)
dans l’abondance. Le statut de salarié devient précaire
du fait de l’extension des contrats d’emplois temporaires ou à
durée limitée. A cela s’ajoute la déqualification
du travail salarié. Milano écrit : « L’évolution
récente du capitalisme, en même temps qu’elle a permis
l’accroissement du pouvoir d’achat, a développé le devoir
d’achat », si bien qu’il n’est plus possible aujourd’hui de vivre
au- dessous de ses moyens.
P. Drouin suggère que le gouvernement étudie le «
versement d’un revenu minimal de soutien social » pour les plus
démunis.
Alors, M. Drouin, pourquoi vous opposez-vous toujours à l’économie
distributive ?
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Les économistes français (distingués ou non, mais marchant tous à côté de leurs pompes) nous disent que les Français ne travaillent pas assez. Eh bien, si on regarde les statistiques officielles de la Communauté Economique Européenne on constate qu’à part ces braves Anglais (dont la réussite économique est éclatante, n’est-ce pas ?) ce sont les Français qui ont la durée annuelle de travail la plus grande (1 785 heures contre 1 716 pour les Allemands, 1 694 pour les Danois, 1 643 pour l’Italie et 1 527 pour la Belgique).
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Selon une récente enquête du B.I.T., la durée hebdomadaire de travail des ouvriers, qui était de 40,6 dixièmes heures en France en 1980, n’atteignait que 39,7 aux U.S.A. ; 39,1 en Australie ; 33,7 en Autriche ; 33,4 en Belgique ; 32,9 au Danemark, et, même, 31 heures pour les hommes en Norvège. De 1974 à 1980, les diminutions les plus fortes ont été observées en Norvège et en Israël (4 heures de moins). De récents accords importants ont été signés à l’étranger. Citant un bilan du syndicat TUC, « Intersocial » (janvier 1982) indique que près de 5,5 millions de travailleurs manuels ont obtenu, depuis deux ans, la semaine de moins de 40 heures ; des accords intéressant 500 000 ouvriers ont réduit la semaine à 38 ou 37,30 heures. Fait significatif, rapporte « Intersocial » l’entreprise Reckitt et Cocdam avait proposé diverses dates de réduction de 39 à 38 heures avec des hausses de salaires de 11 % ou 9 %, ou encore le maintien à 39 heures avec une hausse plus importante (13 %) ; le syndicat a choisi une date intermédiaire avec une hausse de 12% Autre exemple de souplesse : chez Lucas, la semaine de 39 heures donne lieu, en fait, à une quinzaine de neuf fois 8,40 heures pour dégager un vendredi complètement libre toutes les deux semaines.