Mission au Kosovo

Témoignage
par  J. LABBÉ, R. WINTERHALTER
Publication : janvier 2001
Mise en ligne : 25 janvier 2009

En 1996, la commune de Lutterbach (Alsace), qui s’était déclarée “Commune du monde” en 1995, a engagé un partenariat avec la ville de Gjilan dans le sud du Kosovo. Au début, ce partenariat a constitué un réseau d’alerte sur la situation des Droits de l’Homme à Gjilan. Dans l’après guerre, il s’est orienté vers des actions de coopération. Le maire de Lutterbach, R. Winterhalter et Joël Labbé, maire de Saint-Nolff (Bretagne), entrée à son tour dans le réseau des “Communes du monde” en 1997, se sont rendus à Gjilan du 18 au 22 septembre 2000 pour intervenir sur les thèmes de la démocratie, de la tolérance interethnique et aussi de la cohabitation des différents courants politiques (majorité/minorité) après les élections. Ils nous ont envoyé leur rapport sur cette mission :

Une journée sur la tolérance

Cette journée était organisée par la cellule démocratisation locale et information sur la ville. La création de cette structure et l’organisation du débat montrent que les responsables locaux souhaitent avancer dans le sens d’une cohabitation pacifique où chaque groupe est reconnu dans le cadre d’une démocratie participative. Les reponsables des principaux partis politiques étaient présents ainsi qu’un représentant de la communauté serbe et un de la communauté turque, un de l’administration internationale et un prêtre catholique.

Nous deux, élus français, nous sommes présentés comme deux maires atypiques n’appartenant pas à de grands partis politiques et souhaitant simplement faire part de nos expériences respectives dans une optique avant tout humaniste. Nous sommes intervenus sur la base de l’expérience vécue au niveau de nos collectivités respectives et avons évoqué la situation de nos deux régions marquées par leur histoire et leur culture. Nous avons bien sûr insisté sur une tolérance interethnique traduite dans les faits… Il faut d’abord qu’un état de droit soit mis en place, une justice équitable à même de juger et de condamner les coupables de faits criminels à l’époque de la guerre. Ce n’est qu’après que les haines, rancœurs et volontés de revanche peuvent s’atténuer [1].

Rencontre avec Ibrahim Rugova

Le 21, nous avons été reçus à Pristina par Ibrahim Rugova. Avec simplicité, il s’est entretenu avec nous sur l’histoire récente du Kosovo, et sur son approche de l’avenir qui ne pourra être envisageable que par la mise en place d’une véritable démocratie veillant au respect de toutes les ethnies.

Notre impression sur le pays

Les séquelles de la guerre restent encore bien visibles : beaucoup de maisons détruites, de voitures calcinées au bord des routes… La présence partout importante des forces militaires de la KFOR maintient un calme artificiel mais la situation pourrait encore basculer sous la provocation des extrémistes de tous bords ; le couvre-feu est maintenu entre 22 et 5 heures du matin. Mais la joie et l’envie de vivre se lisent sur les visages ouverts de la jeunesse dans la rue. La volonté de reconstruction est évidente et encourageante pour l’avenir.

La ville de Gjilan est sous la protection des Américains qui font des démontrations de forces dissuasives. Les États-Unis semblent s’installer ici pour plusieurs années. Ils ont construit une base ultra moderne sur 50 hectares à Ferizaj, à une trentaine de kilomètres de Gjilan. On sent l’intérêt géo-politique de cette région des Balkans !

Les réfugiés

Les reconstructions en cours permettent le relogement graduel des réfugiés, mais la situation d’un grand nombre d’entre eux reste préoccupante sur le plan humain et sanitaire. Des hébergements d’urgence doivent être trouvés. A ce sujet, nous avons apprécié le travail de l’ONG ACTED qui a conçu de petits chalets dont le rapport qualité/prix est très intéressant. ACTED travaille avec du personnel local, tant albanais que serbe en fonction des régions, et contribue ainsi à une réinsertion sociale. Son approche est pour nous exemplaire : elle construit ses projets en associant les personnes qui les réaliseront, les citoyens concernés, les techniciens chargés de la mise en œuvre et les responsables politiques locaux.

à Gjilan nous avons visité l’école maternelle qui était la plus moderne et la mieux équipée de la ville avant la guerre mais qui est très détériorée. Lutterbach a engagé un projet de réhabilitation de cette école et Saint-Nolff pourrait s’y associer. Mais les travaux ne pourront commencer que lorsque les 64 réfugiés qui s’y trouvent seront relogés.

La situation à Mitroviça

Cette ville stratégique reste dans une situation explosive, divisée très nettement en deux : les Serbes au nord, les Albanais au sud, la jonction se faisant par un pont sur lequel les allées et venues sont très surveillées par les forces de la KFOR. La paix qui y règne est très fragile.

En conclusion

Le but principal de notre séjour était d’échanger avec les futurs élus locaux nos idées sur la tolérance et le fonctionnement démocratique. Les échanges ont été riches et nous avons pu constater que les Kosovars sont très demandeurs de ce type d’échanges avec les élus de base.

Nous avons pu nous rendre compte de la situation sur le terrain : la reconstruction avance mais il faudra beaucoup de temps pour la terminer ; l’équilibre très instable est maintenu par la présence importante des forces internationales ; la situation de nombreux réfugiés est préoccupante ; il y a de nombreux problèmes dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des déchets.


[1« Je leur ai parlé de notre histoire, de cette occupation nazie de 1941 à 1944 où Lutterbach a été sinistrée à 96%, de nos efforts de reconstruction, de nos efforts pour dépasser la haine. Je leur ai dit que lorsque j’étais enfant, pendant les fêtes, je chantais dans les réunions des anciens résistants “aux Allemands, je ne tends pas la main”. Mais par la suite, il était utile, nécessaire et très enrichissant de tendre la main. En faisant des recherches dans mon arbre généalogique, je me suis rendu compte que j’étais peut-être français de cœur, français parce que, pour nous, la France signifie Liberté, Égalité, Fraternité, mais que j’étais en fait allemand d’origine. »- Roger Winterhalter.