Arguments (?) verts


par  J.-P. MON
Publication : janvier 2001
Mise en ligne : 14 janvier 2009

Par son titre : Distribution des revenus et équité sociale, un autre colloque avait attiré notre attention. Il eut lieu le 6 décembre et entrait dans le cadre d’états généraux de l’écologie politique organisés par les Verts :

Il y avait tout juste dix personnes dans une grande salle d’un magnifique immeuble du boulevard Saint Germain, donnant sur l’Assemblée nationale. Ce peu d’auditoire ne découragea pas l’orateur prévu et il exposa pendant plus d’une heure, clairement et très simplement, le travail qu’il avait fait pour chercher dans l’histoire quels arguments les Verts peuvent présenter pour revendiquer “un revenu social garanti”. En bon élève économiste, il nous expliqua en plus que l’économie étant dans telle phase d’un cycle de Kondratieff, telles et telles choses allaient se passer… Belle foi dans la puissance de la théorie de l’économie classique ! …Après quoi, le président de séance (nous n’avons pas bien entendu son nom, ni celui de l’orateur) se présenta comme économiste et à ce titre se permit, pendant près d’une demi-heure, d’apporter de subtiles nuances à ce qui venait d’être exposé.

Puis la parole fut offerte à la salle.

Quelqu’un fit d’abord remarquer que dans le panorama des propositions de revenu social garanti, avait été omise celle décrite par Jacques Duboin. Ce nom fit sur les deux orateurs l’effet d’un épouvantail. Ils répondirent en chœur : « Ah, non, pas question, on connaît et on n’en veut pas ! » « Mais, de quoi s’agit-il ? » demanda une autre personne dans la salle. Reprenant la parole pour lui répondre, le président de séance montra qu’il mélangeait tout, Duboin et Bresson, l’allocation universelle [1] et l’impôt négatif [2], la monnaie de consommation et la monnaie fondante de Gesell, etc. On pouvait donc s’interroger sur l’origine de ses “informations”. Quand à un auditeur qui avait parlé de débat démocratique l’orateur répliqua : « le débat, les Verts savent ce que c’est (… !!) et je n’y crois plus », on crut comprendre que son refus venait des débats électoralistes agités qui ont eu lieu récemment au sein de son parti politique. Mais quand l’économiste, pour rejeter l’idée de contrat civique, s’exclama : « Ah oui, le contrat civique, je sais : quand vous voudrez des carottes, au lieu d’aller les acheter au marché, vous devrez aller trouver un paysan et lui demander de semer les graines [3] » , on comprit que ses idées étaient bien arrêtées. Impression confirmée quand il ajouta, péremptoire, bien qu’à côté de la plaque [4] : « Les économistes ont depuis longtemps montré que le marché est supérieur à la planification ». Les Dieux avaient parlé ! Il fut donc décrété par le président de séance qu’on n’était pas là pour discuter d’économie distributive, elle est hors sujet parce “qu’on n’en veut pas”. On ne sait pas pourquoi, ni qui en a décidé ainsi, mais ces Verts défendent le capitalisme de marché au point de rien envisager d’autre.

On en vint alors aux arguments que les Verts allaient avancer pour mettre le revenu garanti dans leur programme électoral. Quelqu’un dans la salle suggéra de le présenter comme le droit à l’usufruit d’un héritage commun : si le monde actuel sait créer les richesses qu’il produit, c’est par ce qu’il a hérité du savoir-faire accumulé par les générations passées, et ce droit va de pair, bien sûr, avec le devoir de participer à maintenir la planète au moins aussi riche pour les générations futures. —“Niet”, rétorqua le présentateur, arguant qu’il ne peut pas y avoir de contrat entre générations parce que les règles du Droit imposent que pour s’engager dans un contrat, les deux parties doivent être en présence ; comme les générations futures ne sont pas là pour en discuter, cette idée n’est pas défendable. Belle envolée… ! Quelqu’un demanda pourquoi les Verts s’opposent au nucléaire, puisqu’ils ne se sentent pas d’engagement vis à vis des générations futures ? Pourquoi se préoccuper des déchets radioactifs laissés aux suivants ? La remarque, évidemment, les laissa pantois. Et la discussion s’orienta sur le financement du revenu minimum tel que ce parti Vert compte le proposer. On a bien compris qu’il s’agit pour eux de le financer par redistribution, car ils n’ont pas la moindre idée d’une vraie distribution, mais il fut difficile de leur faire dire comment ni où ils comptaient trouver les impôts et les taxes nécessaires à ce financement. Ils se contentèrent d’un : « la France est en pleine croissance, les affaires marchent, il y a donc de l’argent ». Ils précisèrent qu’ils avaient chiffré la somme à trouver, 40 milliards de francs, mais ils ne surent pas dire si le versement de ce revenu minimum remplacerait tout autre allocation. Une dame s’inquiéta alors de savoir si elle allait ainsi ne plus avoir à effectuer deux journées de travail par jour (elle a même dit que, elle, elle en fait trois). La réponse fut non, car cela ferait passer le montant de la somme à trouver à 70 milliards. Mais le présentateur rassura tout le monde : si les femmes travaillent, ce n’est pas pour de l’argent, c’est pour avoir la reconnaissance sociale qu’entraîne l’occupation d’un emploi.

Nous sommes donc partis écœurés. Mais pas désespérés : il y a tellement de courants chez les Verts…qu’il y en aura peut-être un, un jour, qui n’évitera plus le débat de fond portant sur un changement complet de la réalité sociale qui domine aujourd’hui.


[1Une allocation universelle n’exige pas de ceux qui sont dans le besoin qu’ils fassent des démarches humiliantes et elle est restituée sous forme d’impôt par ceux qui n’en ont pas besoin.

[2L’impôt négatif, proposé par le monétariste américain Milton Friedman est une prime versée par l’état aux salariés dont les revenus déclarés sont inférieurs à un certain montant. Ceci permet aux employeurs de proposer des salaires très bas, mais n’empêche pas le salarié de rester pauvre. Cette mesure qu’on peut résumer, poliment, par « Mange et tais-toi ! », est appliquée aux Etats-Unis et au Royaume Uni. En France, Madelin et le Sénat lui sont favorables.

[3N’est-ce pas l’exemple type de l’argument caricatural qu’emploie un politicien quand il veut, faute d’argument, esquiver le débat ?

[4NDLR : Ce débat est pourtant loin d’avoir été tranché, et justement, c’est ce que rappelle son collègue Jacques Sapir dans un ouvrage qui vient de sortir et que présente M-L Duboin ci-dessous, page 9.