Tempête sur les monnaies


par  P. SIMON
Publication : novembre 1981
Mise en ligne : 18 novembre 2008

DEPUIS des mois, des remous considérables se produisent sur les marchés monétaires. Le phénomène le plus remarqué a sans doute été l’ascension vertigineuse du dollar, à la grande consternation des autres pays. On le sait, les échanges internationaux se règlent essentiellement en dollars et, si la valeur du billet vert monte, les factures s’alourdissent. Nous l’avons tous constaté plus d’une fois en passant chez le pompiste.
Pourquoi le dollar, si faible en janvier et en juillet 1980, où il ne valait guère que quatre de nos francs, s’est-il soudain redressé ? Le mérite, si mérite il y a, en revient à la politique monétaire des présidents Carter puis Reagan, le second ne faisant que renforcer considérablement les dispositifs mis en place par son prédécesseur. On en connaît le principe. Afin de freiner la création de monnaie par les banques, l’Etat impose des taux d’intérêts exorbitants qui atteignent et dépassent 20 %. L’entreprise ou le particulier qui a besoin d’argent pour quelques jours ou plus, paient des remboursements dissuasifs. On emprunte donc moins pour financer la production et les achats, donc l’économie se ralentit et le chômage se développe.
Ce qui fait le malheur des uns fait le bonheur des autres, c’est-àdire des spéculateurs à la recherche de bonnes affaires. Il y a de par le monde des capitaux flottants qui se déplacent rapidement d’un marché financier à un autre selon qu’il est plus avantageux d’acheter du dollar ou du mark, par exemple. Il est impossible d’en chiffrer le montant, mais les sommes qu’ils représentent sont colossales. On sait, par exemple, que le Koweit a confié plus de 7 milliards de dollars à des banques américaines pour qu’elles les fassent fructifier.
Les taux d’intérêt élevés pratiqués aux Etats-Unis constituaient donc une aubaine pour ces capitaux flottants rassurés par les déclarations du Président et de son équipe, promettant de ne pas modifier leur politique monétaire. Il y a quelques semaines, cependant, un reflux s’est produit. Devant le spectre d’une authentique récession s’installant aux Etats-Unis, les parlementaires ont manifesté leurs inquiétudes. On les comprend, leur réélection intervient en 1982 et l’électeur américain ne fait pas de cadeau. De plus, il y a de moins en moins de gens qui croient que le Président Reagan va ramener la prospérité dans le pays. D’où le désenchantement qui a poussé le gouvernement à lâcher un peu de lest et à laisser les taux d’intérêt baisser quelque peu. Il n’en a pas fallu davantage pour que les capitaux flottants se détournent du dollar et servent à acheter du mark ou de l’or dont les cours ont d’ailleurs monté. Si bien qu’en quelques jours le dollar a perdu près de 12 % de sa valeur.
Les investisseurs sont volages. Leur pactole s’en ira là où il peut le mieux se valoriser. En toute logique on ne peut leur reprocher d’agir ainsi. Qui regarderait sans réagir ses avoirs fondre au soleil de l’inflation ? Mais comment peut- on espérer construire des échanges internationaux sains si des soubresauts aussi terribles affectent les moyens de paiement ? Pourquoi placer tout son capital dans des entreprises qui produisent et donnent du travail, si on gagne plus et plus vite en jouant les monnaies les unes contre les autres  ?
Tant que les pays n’auront pas mis sur pied une politique monétaire raisonnable qui interdit une spéculation effrénée, l’économie mondiale sera malade, même très malade comme elle l’est actuellement. Pour financer l’expansion économique, on a créé partout des capitaux en quantités colossales qui doivent se placer quelque part sous peine de disparaître. Il semble peu probable qu’on les maîtrise par les moyens classiques. Le retour à l’équilibre n’est pas pour demain.