La guerre au chômage est déclarée
par
Publication : novembre 1981
Mise en ligne : 18 novembre 2008
DEPUIS longtemps déjà nos économistes patentés,
d’abord pris de cours devant la grande dépression survenue après
la première guerre mondiale dans les pays industrialisés,
crise qu’aucun signe précurseur ne leur avait laissé prévoir
; devant le marasme des affaires, les faillites en série, l’inflation
galopante, le chômage grandissant et les troubles sociaux qui
l’accompagnent, mais non sans avoir cherché l’explication de
ce cataclysme dans les oeuvres poussiéreuses d’Adam Smith, Quesnay,
J.-B. Say ou Ricardo, leurs plus illustres prédécesseurs
; nos économistes patentés, dis-je, stoïques dans
le désarroi général, avaient tenté de nous
rassurer par cette affirmation optimiste érigée aussitôt
en dogme universel : « La machine crée plus d’emplois qu’elle
n’en supprime ».
Ces simples paroles, en mettant fin aux propos alarmistes de quelques
économistes attardés, ouvraient de nouvelles perspectives
aux tireurs de plans en détresse et autres doctrinaires du libéralisme
plus ou moins avancé qui mirent aussitôt leur matière
grise au travail pour sortir le monde civilisé de ce que l’on
n’appelait pas encore le merdier, mais qui n’en était pas loin.
Ce travail d’experts, après les inévitables tâtonnements
du début et l’échec provisoire de tous les redressements
définitifs auxquels nous avons assisté, a tout de même,
selon lesdits experts et n’en déplaise aux ricaneurs, donné
des résultats qu’ils estiment « globalement positifs »,
comme dit l’autre. Et c’est compte tenu de cette expérience que
le nouveau gouvernement s’est fixé comme objectif prioritaire
la guerre au chômage par la création de nouveaux emplois.
Eh bien, allez donc comprendre quelque chose à la science économique
et vous fier aux postulats les plus solidement établis, c’est
raté. Contrairement aux pronostics de tous les spécialistes
le nombre des chômeurs ne cesse de croître, comme le déficit
budgétaire et le taux d’inflation, en même temps que s’élève
la montagne des stocks excédentaires, et va bientôt atteindre
les deux millions. Et ce n’est qu’un commencement.
Jusqu’ici le secteur tertiaire, après avoir accueilli le monde
des campagnes chassé de ses terres par la monoculture, les engrais
chimiques, les oestrogènes, les pesticides et les anabolisants,
avait, tant bien que mal, réussi à absorber une partie
des chômeurs venus de l’industrie et remplacés par les
machines. C’est fini. La télématique, les ordinateurs,
les caisses enregistreuses électroniques, remplacent déjà
et remplaceront de plus en plus le personnel en surnombre des assurances,
des banques, des grands magasins et de l’administration. Et l’on ne
voit pas, dans l’état actuel des choses - même si c’est
encore l’état de grâce - quelle corporation, mise à
part l’industrie du casse-pipes, toujours florissante, merci, l’armée
toujours fin prête, qu’on se le dise, ou les pompes funèbres,
toujours à votre service, pourrait accueillir les deux millions
de chômeurs provisoires chassés à leur tour par
le progrès, et toujours en voie de recyclage.
Si vous avez une idée... Non Pas une ?.. Pourtant, et sans vantardise,
on n’en manque pas, en France. Et c’en était même une de
géniale pour le premier bipède qui l’a conçue,
d’inventer une machine qui allait travailler à sa place, le libérant
ainsi de sa condition d’esclave pour en faire un homme libre. Il n’avait
pourtant pas prévu, le gros malin, qu’il allait passer sans transition
du rang de travailleur exploité à celui de demandeur d’emploi
devant qui les portes se referment en claquant sur ces mots : «
On vous écrira ».
Alors, « Créer de nouveaux emplois », vous dites
? On veut bien, tu parles ! Et les deux millions de chômeurs secourus,
sans compter les autres, les pas vernis qui n’ont jamais vu un. bulletin
de paye, ne demandent pas mieux. Mais comment ? Pas facile, quand, grâce
aux progrès des sciences et des techniques - pardon si on rabâche
-. la production dépasse les besoins solvables et devient du
coup excédentaire.
Mais si la machine produit plus qu’on ne peut vendre faute d’acheteurs,
et si le chômeur ne consomme pas, ou si peu, pourquoi ne remplacerait-on
pas les machines par des chômeurs ? C’est idiot... Oui, je sais,
mais il n’y a pas d’autre choix dans notre monde à l’envers,
en dehors du socialisme distributif.
Après le refus de M. Charles Hernu de réduire à
six mois la durée du service militaire, comme promis, pour ne
pas aggraver le chômage, il reste une dernière solution
encore plus idiote : revenir au service de sept ans. Ça dressera
la jeunesse. Et si cela ne suffit pas, décréter la mobilisation
générale. Rompez ! En temps de guerre il n’y a plus de
chômeurs.