Au fil des jours
par
Publication : juillet 1981
Mise en ligne : 14 novembre 2008
Dans le numéro précédent de la G.R., je m’indignais
de la position prise par les Américains à l’Assemblée
Mondiale de la Santé au sujet de l’adoption d’un code de conduite
international sur la commercialisation du lait en poudre.
J’étais pessimiste : la Chambre des Représentants vient
de condamner l’attitude de la délégation américaine.
Nous avons aussi appris que le chef de la délégation américaine
à Genève avait été contraint de retirer
sa candidature au poste de secrétaire d’Etat adjoint aux Droits
de l’Homme pour avoir accepté des fonds de la firme Nestlé.
Comme quoi, il y a quand même une morale aux Etats-Unis !
*
Et pourtant, le gouvernement des Etats-Unis ne donne guère l’exemple
en matière de moralité : il souhaite un assouplissement
de la loi réprimant la pratique des pots de vins versés
à l’Etranger. Que voulez-vous, il faut exporter à tout
prix ! Donc, l’administration Reagan souhaite assouplir le « Foreign
Practices Act » voté en décembre 1977, qui interdit
aux firmes américaines d’offrir des « cadeaux » aux
fonctionnaires ou dirigeants politiques des pays où elles opèrent.
Cette loi avait été votée après l’affaire
du Watergate, après plusieurs gros scandales, comme les pots
de vins versés par Lockheed, qui avait fait trembler le monde
politique italien, coûté son poste à un Premier
ministre japonais et compromis le Prince Bernhard des Pays Bas. Le Congrès
Américain, voulant moraliser ces pratiques, obligea les exportateurs
américains à tenir des comptes très précis
de leurs transactions à l’étranger. Le moindre paiement
destiné à obtenir un marché était sanctionné
par de très fortes amendes et des peines pouvant atteindre cinq
ans de prison.
Cette loi a rendu malades les exportateurs américains qui n’osaient
cependant pas trop s’en plaindre sous l’administration Carter. Mais,
depuis la victoire du libéral éclairé Reagan, plusieurs
sénateurs républicains veulent proposer l’abolition de
cette loi car, disent-ils, ça gêne les exportations. Et,
comme vous le savez, là où il y a de la gêne, il
y a pas de plaisir !
Mais rassurez-vous, les sénateurs en question se défendent
de prôner la corruption. Ouf, on a eu chaud !
*
Encore quelques fauts faits à la gloire du libéralisme
économique aux Etats-Unis, depuis deux ans, une centaine de pêcheurs
de crevettes vietnamiens, ayant dû quitter leur pays, se sont
installés dans deux petits ports de la baie de Galveston au Texas.
Ils ont fait des affaires prospères et sont devenus des concurrents
sérieux pour les pêcheurs texans. Ça ne pouvait
pas continuer comme ça.
Première étape : le responsable des pêcheurs texans,
ancien G.I. au Viet-Nam, accuse les nouveaux venus d’être infiltrés
par des agents communistes (horreur suprême au pays de la liberté
!).
Deuxième étape : deux bateaux vietnamiens sont incendiés.
Mais ça ne suffit toujours pas à décourager les
pêcheurs vietnamiens. Le chef des pêcheurs locaux déclare
que les crevettes se font rares et que la baie de Galveston ne peut
plus nourrir autant de monde. Alors, il invite le KU KLUX KLAN (eh oui,
ça existe toujours « ) à « venir soutenir la
cause de ses compatriotes ». D’où diverses manoeuvres habituelles
du Ku Klux Klan : croix incendiées devant les maisons des Vietnamiens,
menaces de mort contre un Texan qui avait accepté d’abriter des
bateaux vietnamiens dans son bassin, ... Pas dégonflés,
les Vietnamiens ont porté l’affaire devant la justice et un juge
fédéral a décidé que « les Vietnamiens
avaient le droit de rester et qu’ils resteront ». Il a en outre
ordonné que tout pêcheur blanc ou tout membre du Ku Klux
Klan qui refusera cette décision soit jugé pour outrage
au Tribunal. Saluons le courage du juge. Mais l’histoire est révélatrice
de la mentalité qui anime les adeptes du libéralisme économique.
*
Encore un problème pour les économistes distingués
: aux EtatsUnis, malgré l’augmentation féroce des taux
d’intérêts, la croissance est repartie. La science économique
enseigne pourtant que lorsque les taux d’intérêts s’accroissent,
l’activité économique diminue parce que le crédit
est cher. Eh bien ça n’est plus vrai ! Dépassant toutes
les prévisions, le P.N.B. des Etats-Unis a augmenté en
termes réels de 8,4 % au cours du premier trimestre 1981. C’est
le meilleur taux observé depuis deux ans.
Encore un coup dur pour la science économique. Celle là
même qui proclame que l’on combat l’inflation en réduisant
l’activité économique. Voyez ce que ça donne au
Royaume-Uni, par exemple, où le chômage atteint maintenant
10,6 de la population active, soit plus de deux millions et demi de
personnes. Et l’on prévoit que le chômage touchera plus
de trois millions de personnes l’hiver prochain en Grande-Bretagne.
C’est là encore un grand succès des économistes
classiques qui inspirent Mme Thatcher.
Moralité : il faut recycler tous les économistes et leur
apprendre l’économie distributive !