L’Irlande


par  P. SIMON
Publication : juillet 1981
Mise en ligne : 14 novembre 2008

EN se laissant mourir de faim à la prison du Maze, dans la banlieue de Belfast, capitale de l’Irlande du Nord, Bobby Sands et ses compagnons ont échoué dans leur entreprise. Ils voulaient obtenir le statut de prisonnier politique pour eux-mêmes et leurs compagnons républicains arrêtés et condamnés pour terrorisme. Leur froide résolution et leur courage ont, cependant, fortement impressionné l’opinion mondiale qui aurait désormais peine à comprendre que les gouvernements britanniques et irlandais ne parviennent pas à résoudre rapidement un conflit qui dure depuis maintenant douze ans.

UN PEU D’HISTOIRE

Pour beaucoup, ce conflit est une guerre de religion. Il a, en fait, d’autres causes et l’opposition farouche des Protestants et des Catholiques n’en est qu’un aspect. Tout a commencé au XIIe siècle lorsque, sous le règne de Henry II, des aventuriers anglais pénétrèrent sur le territoire irlandais et s’emparèrent de terres que les tribus locales, mal organisées et politiquement divisées n’étaient guère à même de défendre. Dans cette conquête, l’avantage revenait aux Anglais.
Cette situation s’aggrava considérablement lorsque, sous le règne d’Henry VIII, le roi aux six épouses, l’Angleterre rompit bruyamment avec la Papauté et fonda sa propre église.
L’hostilité profonde qui opposa la cour d’Angleterre à Rome se reporta sur l’Irlande, depuis toujours profondément catholique romaine, et, pour mieux asseoir leur domination, Henry VIII puis sa fille Elisabeth I entreprirent de convertir les Irlandais à l’anglicanisme. Comme on l’imagine aisément, les Irlandais résistèrent farouchement pour défendre leur foi et identifièrent leur enthousiasme renforcé pour le catholicisme avec leur haine passionnée des Anglais. Les nouveaux colons, d’autre part, identifièrent le protestantisme avec leur domination raciale.
La suite de l’histoire de l’Irlande est le récit d’une longue série de rébellions aussi sanglantes qu’inefficaces. Les divers soubresauts qui agitèrent l’histoire politique et religieuse de l’Angleterre ne manquèrent pas de rejaillir sur l’Irlande dont la population soutint toujours les catholiques contre les protestants.

La querelle entre Anglais et Irlandais fut encore envenimée par la pitoyable situation économique où se trouvait l’Irlande face à la prospère Angleterre qui trouvait dans sa voisine un autre territoire où appliquer sa politique mercantiliste d’exploitation. Le peu d’industrie qu’avait l’Irlande disparut avec l’entrée des produits anglais au XIXe siècle. Les paysans irlandais cultivaient des terres, qui ne leur appartenaient souvent plus, au bénéfice d’un propriétaire étranger qui exportait le blé et laissait la pomme de terre comme alimentation de base. Aussi, lorsque en 1845, la récolte de pommes de terre fut détruite par une maladie la famine s’installa, faisant un million et demi de morts pendant qu’un autre million d’Irlandais s’expatriaient, formant une véritable diaspora. Beaucoup partirent aux Etats-Unis d’où leurs descendants continuent à soutenir les mouvements d’opposition aux protestants.

Affaiblie, la résistance irlandaise mit longtemps à obtenir des résultats tangibles et ce ne fut qu’en 1921, après un soulèvement brutal et brutalement réprimé en 1916, qu’une solution politique fut apportée. Elle consacrait la partition de l’île. D’une’ part, une République libre mais encore mal dégagée de l’influence britannique, d’autre part un bastion britannique, partie intégrante du Royaume Uni, l’Irlande du Nord ou Ulster.

LE PRESENT

C’est là que va se jouer la tragédie. Jusqu’en 1968, coexistent deux communautés quasi autonomes. D’un côté, les « unionistes » en qui les « républicains  » voient les descendants des conquérants, de l’autre les catholiques (ou républicains) en qui les « loyalistes » voient des séparatistes qui veulent détacher l’Ulster de la Couronne.
La bourgeoisie protestante contrôlait l’économie et maintenait sa domination grâce à un système politique archaïque. Les terres furent appropriées, les Irlandais de souche, donc catholiques, étant chassés des meilleures terres qui ne se vendaient qu’à d’autres fermiers protestants. Dans le même temps, les lois écartaient les catholiques des professions libérales et du monde des affaires. L’éducation, bien sûr, était pratiquement accessible aux seuls protestants au niveau des lycées et des universités. Le système se justifiant idéologiquement par l’esprit d’entreprise des protestants et la paresse des catholiques.
Les convulsions auxquelles nous assistons depuis 1968 sont celles d’une société bizarre dont les structures s’effondrent sous la poussée de l’évolution. La République d’Irlande, l’un des Dix du Marché Commun, est désormais pour la Grande-Bretagne un partenaire économique plus intéressant que l’Ulster dont l’industrie reposait en grande partie sur des chantiers navals aujourd’hui bien malades. Mais la Couronne ne peut pas lâcher ainsi des protestants qui se réclament d’elle ni paraître céder au terrorisme. C’est, cependant, dans des négociations réalistes entre les gouvernements de Dublin et de Londres que réside probablement la solution du problème.