Ils y viennent !
Publication : juin 1981
Mise en ligne : 7 novembre 2008
Voici des extraits d’un article signé par Jean Illig et Roger Delaunay dans :
• Ingénieurs et cadres de France (avril-mai 1981)
sous le titre :
CRISE OU MUTATION ?
Si un diagnostic de la situation actuelle est fait à partir
de théories économiques « classiques », la
situation que nous vivons s’appelle une « crise », c’est-à-dire
un moment périlleux ou décisif dans une évolution.
Les mesures adoptées en France par le gouvernement procèdent
d’une certaine logique, mais nous n’en constatons pas moins depuis quatre
ans aucune amélioration de la politique économique, ni
sur le plan de l’emploi ni sur le plan de la monnaie. Chômage
et inflation ne cessent, en effet, de croître de façon
désespérément régulière...
Il convient donc de se demander si, après tout, plutôt
que de critiquer les mesures appliquées, il ne faudrait pas remettre
en cause l’analyse et la théorie économiques sur lesquelles
elles s’appuient. Dans ce cas, il s’agit non pas d’une crise déséquilibrant
temporairement la société mais, plus fondamentalement,
d’une mutation même de cette société rendant inadaptées
les solutions classiques. Notre type de société industrielle
se modifie en profondeur jour après jour, et ceci à travers
l’évolution des comportements économiques et moraux. C’est
une nouvelle phase dans l’évolution de notre civilisation qui
se précise peu à peu, sans être bien perçue
par la grande masse de nos concitoyens. En quelques générations,
l’impact de l’invention de la machine à vapeur et de ses développements
mécaniques, le développement de la chimie et de ses applications,
à l’agriculture notamment, n’ont-ils pas déjà transformé
les modes de vie urbains et ruraux ?
Seule une politique cohérente, constante, une politique de prévision,
de prévention et d’innovation systématique permettra de
maîtriser les problèmes de l’emploi. Aux défis économiques
et culturels posés par la nouvelle géopolitique qui se
développe, la réponse passe d’abord par l’imagination,
face à des situations elles-mêmes inédites.
.........
Chaque jour se creuse l’écart entre les discours des «
politiques » et les réalités du monde du travail,
discours inspirés par des dogmes périmés et une
position archaïque, car, depuis des années, la politique
suivie s’inscrit dans une optique « comptable » ne prenant
en compte que le seul aspect économique, qui n’est qu’un élément
d’un équilibre de société. Nous avons le privilège
de vivre dans une société riche qui doit porter une plus
grande attention à son environnement et remettre en question
sa quête de richesses sans cesse accrues.
.........
Tout renversement de tendances et toute amélioration ne peuvent
que résulter d’un ensemble de réformes, lesquelles s’inscrivent
dans le mouvement régulier de la réduction du temps de
travail directement productif, libérant les esprits et créant
les conditions pour une meilleure réalisation de l’être
humain.
.........
Un premier axe de réformes a trait à l’aménagement
du temps de travail. A la seule notion de « niveau de vie »
doit être substituée une conception plus large : celle
du « mode de vie ». Au seul critère de « productivité
économique » doit être prise en considération
une « productivité sociale » intégrant des
productions, des services non rentables en termes de comptabilité
mais assurant une production sociale, humaine. »
(Envoi de P. Lecocq, Boulogne)
Quel dommage de voir ensuite ces auteurs, en contradiction avec ce
qui précède, se soucier de trouver l’équilibre
du marché de l’emploi en offrant des postes de travail d’une
trentaine d’heures par semaine, avec une rémunération
proportionnelle, puis de proposer des réformes destinées
à améliorer la compétitivité économique
nationale, par exemple en limitant les actions sociales de l’Etat.
Qu’il est dur d’échapper aux modes de pensée de ses ancêtres !
-« o »-
Sous le titre « Révolutionnique : chômeurs, si vous saviez », les extraits suivants sont signés G. Brissé :
• LA CROIX (du 10 avril 1981)
« Il est très possible, aujourd’hui, d’évaluer, grâce au calcul électronique, les stocks réels ou potentiels à court ou moyen terme des biens de grande consommation. Il est également possible de les soustraire très largement aux lois du profit en les distribuant par le truchement d’une monnaie de consommation non thésaurisable, dont la valeur est en prise directe sur les stocks disponibles. Ce revenu social garanti (Resog), inscrit régulièrement au compte de tout individu et indépendant de son activité professionnelle ou de ses autres revenus, pourrait être distribué à l’aide d’une monnaie électronique. Quant aux produits de luxe, ils demeureraient accessibles selon les critères monétaires actuels. Dans ce système, le consommateur conserve son entière liberté de choix. En somme, il dispose d’un circuit monétaire à deux niveaux, l’un en circuit fermé permettant exclusivement la répartition des biens et services dits « de grande consommation », l’autre continuant à assurer les autres transactions. Ce système ne peut fonctionner efficacement que s’il est pris en charge par les consommateurs eux-mêmes regroupés dans un vaste syndicat national (et confédéral) d’usagers et de consommateurs (Snuc). »
(Envoi de H. Muller, Guérande)
Qu’il est dur de renoncer complètement « aux critères
monétaires actuels » ! Quoi, utiliser son temps de loisir
pour produire gratuitement quelque chose d’humain
non rentable ? Impensable
-« o »-
• dans CHARLIE-HEBDO (n° 542 du 1er avril 1981) sous
le titre
- Giscard veut faire travailler les Français comme des nègres
», et signé Cavanna :
« Nous savons très bien que la mécanisation et
la robotisation du travail iront croissant, que c’est une loi de la
nature aussi immuable que celle de la pesanteur, admettons-le donc et
préparons-nous. Exigeons de nos gouvernants, non du « travail
pour tous » . entérinant par là même la vieille
morale des temps féroces : « Tu gagneras ton pain à
la sueur de ton front » - mais qu’ils étudient sérieusement
comment faire face à ce fait : il n’y a pas assez de travail
pour tous, il y en aura de moins en moins, cependant il y a autant et
même de plus en plus de richesses à répartir. Tous
ceux qui lient « survie » et « travail » sont
des menteurs ou des imbéciles. Des démagogues ou des fous
mystiques. En tout cas pas les gars qu’il faudrait pour mener les affaires,
en ces temps de, comme ils se plaisent à dire, mutation. »
-« o »-
Encore sous la plume de Cavanna qui, lui, « y vient » vraiment :
• CHARLIE-HEBDO (n° 544 du 22 avril 1981)
« Quand j’étais petit, mon papa, le dimanche, me prenait
par la main, et on allait se promener. Sur les chantiers, dans les banlieues,
il y avait des engins, des grues, des pelleteuses, alors des nouveautés.
Papa regardait les monstres au repos, hochait la tête, crachait
un jus de chique et me disait :
- Tou vois, Françva, sta machines-là, i fa semblant coutume
si qu’i mangerait la terre, ma c’est pas vrai : i mange les hommes. Ecco.
Avant, i fallait dix terrassiers per lare un trou comme ça. Sta
salouperie, i le fa toute seule.
Mon papa était un homme simple. Il ne voyait pas plus loin que
le jet de son jus de chique. La machine fait le travail, on n’a plus
besoin de l’ouvrier, l’ouvrier meurt de faim. Ecco.
Il ne parvenait pas à hisser sa pensée jusqu’à
ceci : si la machine crée les richesses sans que l’homme ait
à s’en mêler, l’homme n’aura plus qu’à consommer,
ce sera le bonheur.
Karl Marx n’était pas un con, lui. Eh bien, Karl Marx non plus
n’a pas prévu la machine. Karl Marx avait assisté à
une chose bouleversante la transformation brutale du monde artisanal
en énorme système industriel. Il avait vu l’artisan relativement
prospère se transformer en prolétaire, c’est-à-dire
en semi-clochard abruti de travail idiot et maintenu à l’extrême
bord du dénuement. Il avait compris que l’énergie qui
faisait tourner le système résidait dans les bras des
travailleurs, et que seule leur soumission volontaire, leurs désaccords
ou leur ignorance les maintenait sous la coupe du capital. Ce qui était
tout à fait vrai. « Travailleurs de tous les pays, unissez-
vous ! » et le pouvoir est à vous.
Ceci n’est plus vrai. La force du travail n’est plus dans le travailleur
(tout au moins là où la technologie existante est employée
à plein) mais dans la machine. Même les travaux de surveillance
et de contrôle se font sans l’homme. Même les calculs, les
prévisions, les programmes... Bientôt, les opérations
intellectuelles d’ordre supérieur... Le « travailleur »
est de moins en moins un travailleur, de plus en plus un consommateur.
C’est là le vrai problème. Il serait temps qu’on y pense
sérieusement, au lieu de considérer le chômage actuel
comme un accident auquel des astuces politiques peuvent porter remède.
»
(Envoi de P.F., Angers)
-« o »-
• QUE CHOISIR ?
L’ARGENT
La revue « Que choisir ? » vient de publier deux numéros
spéciaux consacrés à l’argent et contenant une
remarquable analyse de notre système financier.
On y trouve d’abord la confirmation que les banques créent de
la monnaie ; ce fait, ignoré ou contesté par tant de gens,
J. Duboin fut l’un des premiers à le dénoncer et à
en montrer les dangers, ce qui lui valut bien des controverses. «
Que choisir ? » réussira-t-il enfin à le faire admettre
?
Cette association, courageuse, de consommateurs montre comment la loi
a rendu obligatoires des prélèvements dont les modalités
sont fixées par... ceux qui en bénéficient ! Elle
dénonce le vol d’une partie de l’argent que nous gagnons : la
délinquance économique porte sur des montants trente fois
plus élevés que ceux de la délinquance réprimée
(vol à la tire, hold-up, etc.).
Le second numéro spécial fournit des chiffres sur l’argent
que nous dépensons, malgré nous, en publicité.
Chiffres éloquents. Par exemple, sur la façon dont certaines
marques de produits pharmaceutiques « achètent »
des médecins pour les inciter à prescrire leurs produits
: acheter un médicament revient ainsi à payer en publicité
15 % de son prix.
« Que choisir » dénonce, après nous, chiffres
à l’appui, la façon dont un produit « en excédent
» sur le marché européen, comme le beurre demeure
à un prix artificiellement soutenu par des stockages coûteux
(740 millions de francs de stockage public en 1979) et des subventions
à l’exportation (2 milliards pour les produits laitiers européens
en 1979).
Enfin « Que choisir » fait une excellente analyse des causes
de l’inflation : formation des prix sans relation avec les coûts
de production (en particulier non répercussion des baisses),
fraudes sur la quantité ou sur la qualité (forme redoutable
de l’inflation car elle est difficile à déceler et à
évaluer), gaspillages en publicité et en « pots
de vin », et surtout le rôle des banques puisqu’elles disposent
du pouvoir de création monétaire. Enfin cette revue souligne
fort bien comment l’inflation favorise les prélèvements
opérés par les financiers sur les consommateurs en réduisant
le rapport de leur épargne et en allègeant les charges
des emprunts.