Y’ a un truc
par
Publication : mai 1981
Mise en ligne : 28 octobre 2008
EN plein mois d’août de l’année dernière, pendant
que Giscard chassait le faisan à Rambouillet ou le zébu
en Afrique noire, l’Olympia présentait au public parisien un
spectacle de gala que l’on ne voit pas tous les jours. [lu moins dans
une salle de music-hall. Ce spectacle, que Giscard a raté, et
c’est dommage, dont le titre « MAGIC AND CO » illuminait
de néon le boulevard de la Madeleine, réunissait les plus
illustres magiciens de l’hexagone.
J’y suis allé. Pas tant pour le spectacle lui-même que
pour les spectateurs. II y avait du monde. Des gens bien de chez nous
avec de bonnes bouilles de contribuables comme vous et moi. Désireux
de s’instruire pour épater les copains. Ebahis. Et qui applaudissaient
à tous les tours de passe- passe chaque fois qu’un prestidigitateur
sortait un lapin blanc de son chapeau.
On se serait cru à une conférence de presse dans les salons
de l’Elysée ou à une séance d’investiture à
l’Assemblée nationale quand le Premier ministre vient faire son
numéro à la tribune et demander un vote de confiance.
La seule différence c’est qu’au Palais Bourbon les places sont
gratuites et que le lapin blanc y est remplacé par un plan de
redressement définitif.
Je me trouvais aux premiers rangs de l’orchestre - j’avais fait la queue
pendant deux heures pour avoir une bonne place - et je ne perdais pas
une bouchée du spectacle, celui qui se déroulait sur scène
et celui de la salle.
Je m’attendais, j’étais venu un peu pour ça, à
reconnaître parmi tous ces visages épanouis quelques célébrités
du monde politique, assez reconnaissables pour occuper jusqu’au ras-le-bol
la « une » des journaux et les écrans de la télé,
même s’ils n’ont rien à dire. Déception : Giscard,
Peyrefitte, Ponia, Alice Saunier-Seïté, Barre, et autres
Lecanuet, brillaient par leur absence. Ou alors ils se cachaient. Peut-être
portaient-ils de fausses barbes pour ne pas être reconnus. Mais
je ne vois pas Alice avec une barbe.
Je veux bien admettre que tous ces graves personnages avaient des choses
plus importantes à faire ce jour-là. Du moins le pensaient-ils.
Voir un match à la télé, poser la première
pierre d’un Q.H.S., prononcer un discours pour le centenaire d’Hégésippe,
sinon lancer un nouveau sous-marin nucléaire, jouer à
la pétanque ou aller à la pêche. Que sais-je encore
?
Je pense qu’ils ont eu tort. Le discours, le sous-marin nucléaire
pouvaient attendre. Ce qui ne peut plus attendre, en revanche, sans
risques d’explosion, c’est le problème de l’inflation et du chômage.
Un problème qui, à l’heure où j’écris et
selon les chiffres officiels, concerne 1 680 000 personnes, dont 693
000 jeunes, et auquel le prestidigitateur de Matignon, même avec
le secours d’un ordinateur, n’a su apporter de solution qu’en transformant
d’un coup de baguette magique les chômeurs en demandeurs d’emploi.
Il faut quand même en finir. Sortir de ce merdier, comme dit si
élégamment M. Leprince-Ringuet de l’Académie Française.
Et pour en sortir je ne vois que deux moyens.
Le premier, c’est d’inviter les princes qui nous gouvernent - si on
peut appeler ça gouverner - à retourner à l’école.
Mais pas à Sciences Po, ni à l’E.N.A., ils en sortent,
et avec la grosse tête. A l’école des Magiciens, je veux
dire. Il en existe trois en France, selon le « Journal du Dimanche
», dont l’A.F.A.P. (Association Française des Artistes
Prestidigitateurs) qui se fera un plaisir de leur expliquer, pour commencer,
comment on fait sortir un lapin blanc de son chapeau. Car il y a un
truc, vous pensez bien. En moins de dix leçons à 75 francs
de l’heure, ce sera un jeu d’enfant, et pas ruineux, pour ces surdoués,
de faire disparaître deux millions de chômeurs - car il
y en aura bien deux millions d’ici-là - au fond du chapeau.
Le second moyen - il faut tout prévoir, même un raté
dans l’exécution du numéro - c’est, vous l’avez deviné,
l’Economie Distributive, cette « utopie » que notre camarade
Maurice Laudrain a brillamment actualisée dans son livre «
Sortir de la pagaille » (1), livre que son auteur, s’il était
académicien, aurait pu titrer : « Sortir du Merdier ».
Mais c’est une utopie dont nos grosses têtes ne veulent pas entendre
parler. Alors, laissons-les à leurs statistiques, à leurs
taux d’inflation, leur P.I.B., leurs déficits budgétaires,
leurs excédents agricoles, leurs plans de redressement et leur
merdier, si ce jeu les amuse.
Laissons-les dire que l’Economie Distributive est une « utopie
» comme on le disait il n’y a pas longtemps des voyages dans la
Lune. Puisque dans la Lune, ils y sont allés.
Et n’en sont pas encore revenus.
(1) Voir page 15.