On y va...


par  G. LAFONT
Publication : avril 1981
Mise en ligne : 24 octobre 2008

AU lendemain de son élection, un président de la République, dont j’ai oublié le nom - mais ça va me revenir - à peine installé faubourg St-Honoré et histoire de montrer au bon peuple de France qu’il ne s’était pas fait élire pour inaugurer des chrysanthèmes, s’avisa un beau matin, toutes affaires cessantes, d’aller faire une virée dans les prisons pour serrer la paluche des truands, leur demander si la soupe est bonne et leur montrer ce que c’est que le libéralisme avancé.
J’ignore quel goût avait la soupe à l’époque, mais ce geste spectaculaire, et d’autant plus gratuit que les taulards ne votent pas, n’avait pas valu à l’illustre visiteur la reconnaissance éternelle des intéressés. Au contraire. Cela avait fait grincer les dents dans les Q.H.S. Et rigoler dans les chaumières. Les gens sont ingrats.
Le président n’est jamais retourné dans les prisons. Il a tant de choses à faire, cet homme. Résultat : je ne sais pas si la soupe était bonne, mais ça ne s’est pas amélioré. Et depuis que M. Alain Peyrefitte s’est mêlé de mettre les truands au pas en appliquant la politique de la main tendue, mais avec une matraque au bout, c’est la grogne. Voilà que les pensionnaires de ces hôtels trois-étoiles, dits Quartiers de Haute Sécurité, à Fresnes, entreprennent la grève de la faim. Pourquoi ? Parce qu’ils voudraient bien savoir au juste quelle est la politique du gouvernement en matière de justice ; celle de la main tendue ou celle de la trique ?
Je comprends que le président soit indécis et même cruellement déchiré comme lorsqu’il doit exercer son droit de grâce, lui qui est enclin par nature à la clémence. Seulement la clémence n’est pas une vertu politique, à moins de s’appeler Auguste, et il faut regarder les choses en face. Selon les dernières statistiques de la délinquance il y a, en France, 40 000 personnes pour 20 000 places dans les prisons. 40 000 pensionnaires qui, même si la soupe est dégueulasse, coûtent cher à nourrir. La clémence, alliée au bon sens et à l’esprit d’économie, voudrait que l’on libère le plus rapidement possible les détenus pour soulager le budget de la justice. Erreur. A cette solution de facilité un homme politique digne de ce nom doit préférer la rigueur. Pas de pitié pour les truands. Pas de fausse sensibilité Au trou ! Jusqu’à perpète...
De bonnes âmes vont m’objecter que les prisons étant déjà pleines, voire surchargées, les fours crématoires, avec la crise du pétrole, hors de prix, et la Sibérie un peu loin, qu’allons-nous faire de tous ces pensionnaires encombrants ? Où les mettre ?.. Où ? Mais... dans les nouvelles prisons bien grillagées qu’il va falloir faire construire à grand renfort de béton armé et de miradors ! Une occasion inespérée pour faire démarrer le bâtiment - quand le bâtiment va tout va -, relancer les affaires, juguler l’inflation, créer des emplois et rendre le sourire à nos économistes patentés.
Alors, qu’est-ce qu’on attend ? Qu’il y ait 3 millions de chômeurs, ou que Raymond Barre ait pris sa retraite ?
Au début de son règne un président de la République, dont j’ai oublié le nom, déclarait avec solennité - c’était en 1974 - dans un bref moment de lucidité :
« Le monde est malheureux. Il est malheureux parce qu’il ne sait pas où il va. Et parce qu’il devine que s’il le savait ce serait pour découvrir qu’il va à la catastrophe. »
Il y a sept ans de cela... Mais ça me revient, je vous l’avais dit, ce président, le même que le visiteur des prisonniers, c’était Giscard. Je ne voudrais pas, à la veille, peut-être, d’un second septennat, le décourager. Lui dire brutalement que ça va encore plus mal aujourd’hui qu’en 1974 serait cruel. Il nous reste quand même un dernier espoir. Et cet espoir, puisque toutes les doctrines économiques - le libéralisme avancé, devenu le libéralisme faisandé, y compris - ont fait faillite, et en attendant le socialisme distributif auquel il faudra bien venir un jour, c’est l’Homme providentiel qui le porte, celui que la France sait toujours trouver aux heures les plus sombres de son histoire.
Celui qui, avec plusieurs lustres d’avance, a su exprimer dans un brillant raccourci la pensée de Giscard d’Estaing par ces mots devenus historiques : « On ne sait pas où on va mais on y va », cet homme pourrait aujourd’hui remplacer avantageusement Raymond Barre décidément un peu fatigué, et devenir le Sauveur que la France attend.
Malheureusement il est mort.
Il s’appelait Pierre Dac.