Contradictions
par
Publication : avril 1981
Mise en ligne : 24 octobre 2008
DEPUIS plusieurs décennies,nous ne cessons de dénoncerles
contradictions inhérentesà notre système économique
actuelet qui, mathématiquement, s’opposent à toute tentative
de replâtrage. La plus spectaculaire de cescontradictions est
la destructionsystématique des biens de consommation soi-disant
excédentairesdans un monde où les besoins vitaux sont
bien loin d’être satisfaits.
Mais il en existe d’autres, beaucoup plus subtiles ; elles obligent
nos dirigeants à pratiquer une vertigineuse fuite en avant sur
une corde raide. Essayons d’en analyser ensemble quelques-unes, de comprendre
les mécanismes vainement utilisés pour résoudre
ces quadratures du cercle, et de comparer ces mécanismes avec
les solutions possibles en économie des Besoins.
CHOMAGE - PRODUCTIVITE
On peut comparer les échanges internationaux à ces jeux
dans lesquels le perdant accumule les cartes inutiles, en l’occurence
les déficits. Il faut donc rester dans le peloton-de tête
et être compétitif, sous peine de voir les investissements
de productivité engendrer la diminution de l’emploi. Malheureusement
tous les pays sont soumis à la même contrainte et certains
d’entre eux, pour des causes diverses, nous ont allègrement doublé.
Notons d’ailleurs au passage que même si notre classement était
meilleur, la persistance d’un système mondial basé sur
la condamnation impitoyable à la misère des moins bien
armés ne peut qu’accumuler les germes de conflits avec extensions
en chaîne.
Nous sommes donc actuellement dans une situation de compromis entre
la sauvegarde de l’emploi et la reconversion de la production. Equipements
plus performants et recherches de secteurs chargés de promesses
d’avenir ne nous empêchent pourtant pas d’avoir 1 million et demi
de demandeurs d’emploi, en attendant mieux de l’aveu du Plan lui-même...
Et les mesures en faveur des chômeurs, ou les aides aux reconversions,
pèsent sur les coûts et nourrissent l’inflation.
CROISSANCE INTERNE OU EXTERNE
Stimuler la consommation intérieure est l’un des remèdes
le plus souvent préconisé par les partis d’opposition.
Comment ne pas admettre pourtant que cet accroissement entraîne
une augmentation (environ deux fois plus forte) du déficit de
la balance commerciale ?
On essaye donc de trouver un compromis par l’intermédiaire du
marché des changes, en tentant de conserver une monnaie stable
vis- à-vis des monnaies les plus utilisées dans le commerce
international. On y parvient plus ou moins bien en manipulant savamment
les taux d’intérêt, la gestion du crédit et des
emprunts extérieurs, etc... Mais nous restons à la merci
des innombrables magouilles politico- financières qui, par le
biais de la haute spéculation, brouillent totalement les cartes.
Que, toutes choses égales par ailleurs, nous soyions obligés
de souffrir un peu plus devant la pompe à essence parce que Reagan
succédant à Carter, les capitaux flottants font grimper
le dollar, illustre l’absurdité et la fragilité du système.
Alors, bien sûr, il faut exporter. Mais lâcher le grand
mot ne résout rien, car, si un taux de change fort, réduit
le coût des paiements des importations indispensables, il renchérit
le prix de nos produits et nuit à notre compétitivité,
donc à l’accroissement de nos exportations. C’est pourquoi, sur
une période à moyen terme, nous voyons alterner les rigueurs
monétaires avec des dévaluations plus ou moins réussies,
ou des déficits budgétaires volontairement acceptés,
entraînant les uns et les autres leur cortège de privations
inutiles pour le plus grand nombre, et de profits éhontés
pour les initiés.
CONSOMMATION INVESTISSEMENT
En économie de libre entreprise, personne n’investit sans escompter
de débouchés. Et, d’autre part, les sommes investies sont
automatiquement prélevées au détriment de la consommation.
On ne peut donc plus guère parler de libre choix entre jouissance
immédiate et jouissance différée, mais bien plutôt
d’une obligation de choix déchirant entre les restrictions imposées
au marché interne et les impératifs de la compétitivité
externe.
Les entreprises françaises, dans leur grande majorité,
sont totalement empêtrées dans cette contradiction qui
décourage les investissements en dépit de la liberté
des prix et de l’application toute relative des consignes de modération
des hausses nominales de salaires. Là encore, le compromis difficile
n’aboutit qu’à une strangulation de l’appareil productif par
le système financier, et même si l’on considère
qu’il s’agit là d’un moindre mal, il faut bien convenir du piètre
résultat de tant d’efforts d’intelligence gaspillés en
vain. Il est également indispensable d’avoir ces vérités
contradictoires bien présentes à l’esprit au moment où,
à l’occasion des élections présidentielles, chacun
va vous promettre monts et merveilles. Mais personne ne vous expliquera
comment pourront être tenues ces promesses sans échouer
sur les écueils au milieu desquels naviguent dangereusement,
les yeux bandés, nos dirigeants actuels. D’un bord à l’autre
de l’échiquier politique ces prometteurs ne peuvent être
que des inconscients ou des menteurs.
POUR EN SORTIR
Il en irait tout autrement pour qui accepterait de briser le cercle
infernal et d’instaurer l’économie des Besoins.
Dans ce nouveau cadre, en effet, plus de contradiction entre chômage
et productivité, ni entre investissement et consommation puisque
la monnaie distributive gagée sur la capacité productive,
permet d’assurer le Revenu social sans peser sur les prix de revient.
Assurées de leurs débouchés internes, les entreprises
peuvent obéir sans réticence aux orientations données
par les consommateurs, et accroître au maximum les parts de gâteau
sans craindre d’excédents, même si ces gâteaux sont
confectionnés avec de moins en moins d’intervention humaine.
Les seules limitations concevables seront celles consécutives
à la consommation d’énergie, mais n’oublions pas la masse
de manoeuvre considérable dégagée par la suppression
des gaspillages et des fabrications inutiles.
De même, sur le plan du commerce extérieur, le pays qui
adoptera le premier une économie des Besoins prendra, par le
libre épanouissement de son appareil producteur, un tel avantage
sur ses concurrents que ces derniers n’auront d’autre solution que de
l’anéantir militairement dans les plus brefs délais (avec
tous les risques de riposte) ou, plus raisonnablement, d’adopter le
même système. Ce qui constitue d’ailleurs la seule chance
de réussite d’un début de désarmement mondial,
inconcevable dans l’actuel système.
Reste pourtant une interrogation, d’importance capitale. Dans quelle
mesure les hommes responsables de la production continueront-ils à
déployer d’incessants efforts d’études et de recherches
pour perfectionner leurs produits, pour en imaginer de nouveaux, pour
économiser l’énergie et la peine des hommes, s’ils ne
sont plus du jour au lendemain, stimulés par l’aiguillon du Profit
?
Aucun précédent, aucune expérience concrète
ne permettent actuellement de répondre à cette interrogation,
encore que les résultats obtenus par les quelques essais de société
égalitariste ébauchés ça et là n’incitent
guère à l’optimisme béat. Sans doute ces essais
ont-ils été tentés dans des pays n’ayant pas encore
atteint un niveau de développement suffisant pour en tirer des
conclusions définitives. Mais c’est incontestablement dans ce
domaine qu’une étude approfondie, objective, et sans passion,
d’éventuelles mesures de transition, prend toute son importance.