Appel aux jeunes


par  R. THUILLIER
Publication : avril 1981
Mise en ligne : 24 octobre 2008

LA jeunesse est actuellement plus désemparée que jamais. Ce que l’on s’obstine encore à appeler la « crise » économique lui laisse peu d’espoir en l’avenir ; sinon de s’insérer dans la file des deux millions de chômeurs prévus pour 1981.
Depuis longtemps, les Partis politiques ne prétendent plus remplacer la société capitaliste par d’autres structures adaptées au progrès technique. Leurs programmes - s’ils en ont un - ne s’attaquent pas aux causes de cette « crise ». Ils se proposent seulement d’en aménager les effets, en réformant certains de leurs aspects trop inhumains.
Quant aux syndicats, la crainte du chômage modère leurs actions qui restent ponctuelles. Leur principale préoccupation est de conserver des emplois et d’occuper, le cas échéant, les lieux de travail que le patronat ferme, faute de commandes. «  Du travail avant tout » ! « Sauvegardons nos emplois ! » tels sont les slogans qui dominent toutes les professions.
Il ne vient à l’idée de personne de reprendre la phrase maîtresse de Jacques Duboin : « Quand on ne peut plus payer les gens faute de travail, il faut les payer pour qu’ils consomment ».
C’est partout le règne du « fric », de la combine, des spéculations malhonnêtes, des scandales en tous genres. On en est écoeuré, mais on ne sait comment s’en sortir.

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Devant cette situation, à quoi peut bien se raccrocher un jeune  ? Il ne croit plus à rien et condamne mollement ceux qui dévient vers la délinquance. Et cependant, ne pourrait-il s’enthousiasmer pour défendre les thèses que présente l’Economie Distributive ?
Elles sont pourtant simples à comprendre - plus que les combinaisons politiciennes et les études sophistiquées des Economistes plus ou moins distingués.
De plus en plus, les machines remplacent l’homme. En conséquence le travail pourra de moins en moins permettre de vivre dans une société où les possibilités de pléthore sont immenses.
Voilà le fond du problème économique et social de notre temps. En préconisant un Revenu Social pour tous, Jacques Duboin avait été un précurseur puisque, par le truchement des indemnités diverses, le « droit à la vie » est accordé aux plus nécessiteux.
Militer pour un Revenu Social généralisé devrait pouvoir mobiliser toute la jeunesse, puisque les moyens de production le permettent dès à présent.
Certes, il lui faudrait lutter contre cette « civilisation du gain », si bien dénoncée par Marcel Dieudonné dans son ouvrage « Que faire ? ». Mais ne serait-ce pas apporter une moralisation dans la jungle économique où, peu ou prou, nous sommes obligés de combattre ?
Et qui, plus que la jeunesse, pourrait apporter ce souffle idéaliste qui manque à notre société ?
Reste ce que Jacques Duboin a dénommé un « Service Social ». En réalité, il ne constituerait que des prestations professionnelles, encore indispensables pour faire marcher les machines - et les concevoir - et, surtout, pour répartir les marchandises au gré des consommateurs. Que ces prestations professionnelles (dues par tous les citoyens valides, en contre-partie du Revenu Social servi à tout le monde, enfants compris) soient gratuites, est un gros obstacle à faire franchir à nos concitoyens.
Habitués à travailler uniquement pour vivre, conditionnés par la civilisation qui place le profit et le gain comme seul moyen de subsister, travailler gratuitement est actuellement inconcevable pour nos esprits.
Cependant, lorsque nous serons placés dans des structures sociales et économique nouvelles, les mentalités changeront.
Au reste, dans une courte période transitoire d’adaptation, avant que l’abondance généralisée permette ce que les vieux anarchistes appelaient « la prise au tas », un revenu complémentaire d’émulation pourrait, à la rigueur, récompenser les plus méritants.
Il n’y a pas encore si longtemps, les syndicats n’avaient-ils pas pour but la suppression du salariat ?
Jacques Duboin, là encore, n’a fait que reprendre ce que les syndicats, englués aujourd’hui dans le système capitaliste, avaient préconisé dès leur fondation. Ce n’était peut-être pas possible il y a 50 ans, mais à présent c’est concevable.

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L’ensemble de ces transformations constitue cette véritable Révolution à laquelle tous les jeunes devraient aspirer.
Il ne s’agit pas là de replâtrages, d’à peu près réformistes, mais vraiment d’une nouvelle société adaptée au progrès mécanique mais, et surtout, aussi plus humaine.
En fait, ce serait le véritable socialisme, tel que ses penseurs l’avaient conçu. Il ne pouvait être instauré dans la rareté, qui dominait encore le monde jusqu’à la crise de 1930 - dont le capitalisme n’est pas encore sorti et ne peut sortir - mais à présent nous n’avons plus le choix.
Si nous acceptons que l’abondance (susceptible d’être créée par l’emploi non limité artificiellement des machines) soit la cause du mal-être des hommes, nous courons à la catastrophe.
Comment accepter cela ?
Il appartient aux Jeunes de le comprendre et de lutter avec nous, pour l’instauration de cette Economie Distributive (d’aucuns la dénomment Répartitive) qui, seule, peut apporter à tous la joie de vivre.