Les illusions dangereuses
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Publication : janvier 1981
Mise en ligne : 14 octobre 2008
LA faim persiste dans le Tiers-Monde, parce que la nourriture est contrôlée par les tenants de l’économie libérale, c’est-à-dire que les riches et eux seuls en tirent bénéfices.
« Puisqu’une moitié de l’humanité n’a pas grand chose à attendre de l’autre moitié, elle ne peut compter que sur son héroïsme. Les damnés de la terre décideront peut-être bientôt de ne pas mourir en silence. »
La plupart des pays du TiersMonde n’en sont pas encore à élever la voix. Beaucoup restent muets, ce qui est le signe de leur indicible souffrance.
Notre propos (1) est de faire un tour dans ce sombre horizon en laissant parler les faits et en parlant pour eux, avec objectivité, quand ils ne se montrent pas suffisamment éloquents. En revanche, nous attendons du lecteur qu’il manifeste la loyauté de voir les choses comme elles sont et non pas comme il voudrait qu’elles soient, ce qui le conduira inévitablement...
- à reconnaître qu’un siècle de libéralisme économique a plongé l’humanité dans le malheur une première guerre mondiale, le bolchevisme, Hitler, la seconde guerre universelle, la ruine de l’Europe, la course folle aux armements, la famine du Tiers-Monde ; que le commandement d’amour du message chrétien n’est pas civilisateur, que les pays qui s’en réclament ne sont pas des communautés fraternelles, que là où la foi est fervente et unanime, comme en Amérique latine, l’Eglise n’est pas avec les pauvres qui. sont mal traités, affamés, torturés...
- à déplorer que la Révolution verte, mise sur pied par la fondation Rockefeller ait été détournée de son objectif humanitaire de sauver le Tiers-Monde de la faim, au seul profit des sociétés multinationales agro-alimentaires, rendant ainsi les pauvres plus pauvres et faisant les riches plus riches ; à juger sans ménagement la C.I.A. (Central Intelligence Agency) pour avoir, en 1953, rendu son trône au chah d’Iran répudié par 99 % de son peuple, avoir prolongé pendant un quart de siècle le règne tyrannique d’un monarque condamné à abdiquer et être responsable de l’actuelle confusion...
- à réprouver la manoeuvre de la fondation Ford qui a ramené, en 1965, dans le camp occidental, l’Indonésie, grâce à l’organisation diabolique du massacre de plusieurs centaines de milliers de paysans soupçonnés de sympathie communiste...
- à convenir que l’Alliance pour le progrès, élaborée généreusement par John F. Kennedy, en vue de la démocratisation et de l’émancipation économique de l’Amérique latine, a finalement introduit dans ces pays rongés par la misère, des dictatures inhumaines, soutenues par le militarisme américain, qui ne recule pas devant le meurtre, pour s’opposer à tout mouvement vers la liberté, comme au Chili...
- à admettre aussi que la recherche du plein emploi devient absurde dans un régime économique de concurrence et de profit dont la finalité est la réduction, puis la suppression du labeur humain, remplacé dans les usines par les robots, dans les bureaux par les ordinateurs et les microprocesseurs...
- à adopter, au-delà de nos diversités, de nos objectifs, de nos styles de vie de nos divergences d’opinions, un esprit planétaire, ainsi qu’à faire naître l’idée que la Terre est notre deuxième patrie, qu’elle mérite d’être respectée comme une mère nourricière et non pas maltraitée comme elle ne cesse d’en souffrir et risque d’en mourir...
- à comprendre, enfin, et à encourager l’action du Club de Rome qui s’efforce de créer un nouvel esprit de solidarité active et de coopération entre tous les peuples, toutes les nations et à participer à tout mouvement économique qui cherche, par une production abondante de biens socialement utiles la satisfaction des besoins matériels et spirituels de chaque individu pendant toute son existence, à la manière du socialisme distributif.
Nous voilà, dès lors, tous concernés et il devient du devoir de tout homme sensé de combattre, par tous les moyens en son pouvoir, jusqu’au niveau de la contestation, un régime qui, sacrifiant la promotion de l’homme au profit d’argent et à l’enrichissement d’une minorité privilégiée, compromet dangereusement l’issue de la bataille que le monde est condamné à livrer, s’il veut survivre.
(1) Ce texte est extrait de l’introduction de « Un écologiste accuse ».