Pour en sortir
par
Publication : janvier 1981
Mise en ligne : 14 octobre 2008
L’auteur de « Sortir de la pagaille », notre ami Maurice
Laudrain, n’avait pas lu « La 3e Vague » de l’Américain
Alvin Toffler, dont on parle beaucoup en ce moment, quand il écrivait
son bouquin. Ou alors il pensait à autre chose. Sinon il aurait
renoncé à l’écrire. A quoi bon ? On n’a plus besoin
de lui pour en sortir, maintenant. Il y a du nouveau. Même le
professeur Barre peut aller se rhabiller. Il suffit d’un peu de patience.
C’est tout simple, mais il fallait y penser. La nouvelle qui noue arrive,
portée par la troisième vague, dispensera désormais,
s’ils ne sont pas trop pressés, tous les sauveurs suprêmes
qui se bousculent déjà au portillon derrière Coluche
et qui en sont restés en matière économique à
Ricardo, J.-B. Say, Keynes, voire à Alfred Sauvy que j’allais
oublier, d’élaborer au prix d’interminables nuits blanches quelques-uns
des chefs-d’oeuvre du génie humain appelés plans de redressement,
avec lutte contre l’inflation et le chômage et label de garantie,
et qui vont finir généralement dans les corbeilles de
Matignon, sous formes de cocotes en papier.
Donc, selon le futurologue Alvin Toffler, il y a de l’espoir. On en
sortira. Et tout seuls. Je veux dire sans demander la recette à
M. Raymond Barre ou à ses pareils. Dans cet important ouvrage
« La 3e Vague », abondamment documenté et dont je
recommande la lecture, l’auteur analyse la crise que traverse le monde
moderne et qui fait suite à la révolution industrielle,
tandis que commence un nouveau bouleversement avec l’arrivée
en force (le l’électronique.
Je déplore pourtant que tout au long de ces 500 pages passionnantes
qui nous font entrevoir un avenir plus radieux que nous le laisse espérer
le spectacle de ce XXe siècle finissant incapable de s’adapter
aux foudroyants progrès des sciences et des techniques, je déplore
qu’Alvin Toffler n’ait pas fait la moindre mention en passant à
l’Economie Distributive. Pourquoi « l’Utopie » de Jacques
Duboin n’aurait-elle pas sa petite place dans la « Sociologie
du Futur » ? Ça ferait pourtant gagner du temps. Oui, pourquoi
? Je vais vous le dire : parce que les grosses têtes qui mènent
le monde - mais le mènent où. ? - et gouvernent au pifomètre
dans la tempête entre Charybde et Scylla, je veux dire entre l’inflation
et le chômage, avec des millions de demandeurs d’emploi et des
tonnes de marchandises « excédentaires » fabriquées
par des robots, ne connaissent pas de système économique
régi autrement que par la loi sacrosainte du marché. C’est
ce qu’on leur a enseigné à Sciences Po.
En attendant, la pagaille généralisée, qui sévit
depuis plusieurs lustres sur notre charmante planète de plus
en plus déboussolée, ne semble pas troubler le sommeil
d’Avin Toffler. La terre continue de tourner. Plutôt mal. Mais
elle tourne, comme disait déjà Galilée. Dans les
pays sous-développés où règne une effrayante
misère on continue à crever de faim, mais aussi à
acheter des armes. Parce qu’il est plus facile de se procurer des armes,
même hors de prix, pour s’entretuer, que des vivres de première
nécessité pour ne pas mourir. Allez savoir pourquoi. Et
dans les pays civilisés où triomphe l’abondance on continue
à déverser des choux-fleurs sur les routes et à
fabriqaer des armes de guerre. Parce qu’il est plus facile de vendre
des mitrailleuses ou des bainbordiers lourds, que du lait en poudre
et du cassoulet en boîtes. Mais là. on sait pourquoi.
Tout cela n’empêche pas le futurologue Alvin Toffler de faire de beaux rêves. Selon lui tout va s’arranger. Comment ? Par l’action combinée « du hasard et de la nécessité » empruntée à Jacques Monod. Faisant état des travaux du savant Prigogine, né à Moscou mais devenu Bruxellois, il nous décrit la manière dont les termites édifient leurs nids. On voit d’abord ces bestioles aller et venir de la façon la plus désordonnée, déposer ça et là, comme un chien fait sa crotte, un bout de mucus, au petit bonheur la chance, sans plan préétabli ni la moindre idée directrice. Ils se baladent dans tous les sens, à gauche, à droite, en zig-zag. Peu à peu ça pousse, ça monte, ça s’agglutine et, si le hasard le veut, si la nécessité s’y prête et si le vent souffle du bon côté, ça prend forme, on se demande comment, et ça devient - miracle - cette architecture complexe qui fait l’admiration des connaisseurs : une termitière.
Alors, pourquoi se casser la tête ? Faisons comme les termites, ne cherchons pas à être plus malins, il suffit d’attendre. Chez nous, en France, on a déjà construit le Centre Pompidou et les abattoirs de la Villette en appliquant, sans le savoir, - comme M. Jourdain faisait de la prose - la méthode des termites. On est dans une belle pagaille, c’est vrai. Mais le plus dur est fait. Ne cherchons pas à en sortir par les moyens classiques qui ont d’ailleurs tous échoué jusqu’ici, restonsy. Grâce à l’action combinée du hasard et de la nécessité on en sortira.
Mais ne me demandez pas dans quel état.