Lettre à Georges Marchais
par
Publication : janvier 1981
Mise en ligne : 14 octobre 2008
Dans le cadre de la campagne proposée par notre camarade de Pagney (voir G.R. n° 783) nous vous suggérons d’adresser la lettre ci- dessous à M. Georges Marchais, Secrétaire du P.C.F., place du Colonel Fabien, 75019 PARIS, et à tous les militants communistes que vous pourriez connaître.
Monsieur le Secrétaire Général,
C’est avec le plus grand intérêt que j’ai pris connaissance
de votre « Plan de lutte contre la crise, pour le changement »
dont je ne puis que reconnaître la grande générosité.
Je crains cependant que les cent trente et une mesures que vous préconisez
pour atteindre les quatre objectifs que vous vous êtes fixés
(des emplois pour tous, un travail humain, une vie libre et responsable
dans une société fraternelle, une société
pour la jeunesse) ne soient pour la plupart illusoires... à moins
que vous n’ayez cédé à une certaine démagogie
électorale.
Avant d’examiner les principales de ces mesures, je voudrais revenir
rapidement sur un de vos objectifs, le premier : vous voulez des emplois
pour tous mais vous savez très bien que le progrès technique
(dont vous êtes un chaud partisan, si j’en crois ce que vous écrivez
sous le titre « Je combats pour la Science » dans «
l’impulsion » de décembre 1980) supprime un nombre croissant
d’emplois dans l’industrie et bientôt aussi dans le secteur des
services. Pour atteindre votre objectif, vous proposez la création
chaque année de 500 000 emplois supplémentaires, la réduction
de la durée du travail et l’octroi d’une cinquième semaine
de congés payés.
Mais ne craignez-vous pas que ces mesures n’empêchent les entreprises
de réaliser les profits que vous souhaitez qu’elles fassent «
dans l’intérêt de la société socialiste »
et êtes-vous bien sûr aussi que la « personnalité
s’épanouisse dans le plein emploi » ?
Ne croyez-vous pas, qu’au lieu de réclamer le plein emploi, il
serait plus réaliste d’exiger un revenu garanti pour tous, travailleurs
ou non, le travail, corvée nécessaire au bon fonctionnement
et à la prospérité de la société,
étant effectué à tour de rôle par chacun,
selon ses capacités ,sous la forme d’un service national dont
la durée irait diminuant au fur et à mesure que se moderniserait
« l’outil de travail » ?
Vous proposez, pêle-mêle, d’augmenter fortement l’impôt
sur les revenus, de porter immédiatement le S.M.I.C. à
3 300 francs par mois, d’augmenter les prix à la production des
produits agricoles, de défendre le franc, de combattre l’inflation
et de nationaliser vingt-trois groupes industriels. Vous ne me ferez
pas croire que vous ne percevez pas l’inanité, voire les antinomies
de ces mesures, qui provoqueraient sans nul doute la fuite et la dissimulation
des revenus et des capitaux, des faillites innombrables de petites entreprises
et l’inflation que vous voulez combattre.
Appliquer ces mesures en conservant des structures qui resteraient capitalistes
(d’Etat) et les règles monétaires actuelles condamnerait
le pays à subir le sort du Chili d’Allende ou celui plus récent
et moins voyant de la Jamaïque. Car, et vous le savez bien, les
grands intérêts financiers privés, les multinationales
dont vous dénoncez si souvent le pouvoir, savent organiser leur
défense en bloquant les approvisionnements extérieurs,
en empêchant les ventes à l’étranger, en provoquant
des grèves et des sabotages...
Non monsieur Marchais, ce n’est pas avec les mesures que vous proposez
que vous pourrez atteindre les objectifs généreux que
vous vous êtes fixés.
Vous n’y parviendrez que si vous changez totalement les règles
du jeu monétaire, c’est-à-dire si vous remplacez la monnaie
telle que nous la connaissons, thésaurisable, par une monnaie
de consommation, annulée dès qu’elle a été
utilisée, comme un vulgaire ticket de métro.
Vous ôterez ainsi tout pouvoir aux affairistes et aux financiers,
vous pourrez « casser le pouvoir de l’argent ». En associant
cette monnaie de consommation à un revenu garanti pour tous,
vous résoudrez d’un seul coup les problèmes d’impôts
(devenus inutiles) , de nationalisation (puisque tous les personnels
directeurs et administrateurs de société deviennent des
salariés) , d’inflation (puisque la monnaie n’est créée
qu’en fonction de la production disponible) et bien sûr, d’emplois.
Je me permets encore de vous demander comment vous conciliez votre souhait
que la France dispose d’un armement nucléaire efficace et opérationnel
avec votre désir de stopper la recherche et la production de
nouvelles armes dont la bombe à neutrons ? Je ne vous ferai cependant
pas l’injure de penser que vous défendez la production des armements
pour sauvegarder l’emploi.
Si comme je le crois néanmoins, vous souhaitez sincèrement
l’avènement d’une société véritablement
socialiste, vous vous devez, M. Marchais, de proposer des mesures qui
sortent enfin des sentiers battus d’une époque révolue
: faites campagne pour UN REVENU GARANTI pour tous et pour UNE MONNAIE
DE CONSOMMATION.