Perspectives


par  M.-L. DUBOIN
Publication : janvier 1981
Mise en ligne : 14 octobre 2008

« La Grande Relève » offre à ses lecteurs, en cadeau de Nouvel An, une présentation allégée, rajeunie. Nous avons fait cet effort parce que, décidément, « La Grande Relève » reste le plus solide moyen pour nous faire comprendre. Certains d’entre nous caressaient le dessein d’utiliser la période des élections présidentielles pour mener une vaste campagne de propagande. Mais ce sont des centaines de millions de francs dont il faudrait disposer. Une page de publicité dans « le Monde », en rubrique économique, coûte, 73 000 F (plus de 7 millions de centimes) et pour une seule parution  !
Il faut donc concentrer nos efforts sur le journal, en élargir l’audience par tous les moyens possibles. Et comme on nous a souvent reproché d’avoir une présentation « rétro », et qu’en plus nous traitons un sujet « sérieux », « pas commercial », nous avons cherché à attirer l’oeil et à le retenir. Il faut bien se rendre à l’évidence qu’il ne suffit pas de proposer la solution aux problèmes économiques et sociaux que tout le monde cherche... Il faut, en plus, plaire !
En retour, nous espérons pouvoir compter sur nos abonnés pour renouveler leurs efforts faire le siège non seulement de leur entourage, mais aussi des points de vente. « La Grande Relève » est vendue dans quelques kiosques de gares parisiennes ou de grande correspondance, près de certains hôpitaux, dans des villes d’eau. Mais nous pouvons augmenter le nombre des points de vente si des lecteurs nous en proposent. Nous avons toujours des tracts disponibles (les pages 2 et 16 en recto-verso) et nous projetons d’en préparer d’autres. Enfin la réédition, augmentée de chiffres récents, du livre de Jacques Duboin « Libération » est en chantier. Et, sait-on jamais, l’année 1981 verra peut-être le retour de « Kou l’ahuri »...(*)

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Ce pauvre Kou, qui découvrait en 1934 un monde plongé dans la misère, devant ces stocks de marchandises qu’on a fini par détruire, faute de pouvoir les vendre ! Quel serait son ahurissement de voir que près de cinquante ans n’ont pas permis à l’homme de réagir devant de telles absurdités : on nous demande de plus belle de nous serrer la ceinture, un nombre croissant de gens, même en France, n’ont pas de quoi vivre, alors que les campagnes se dépeuplent et que les paysans se plaignent de ne pouvoir vendre leu ; s productions. Que dirait Kou en voyant les syndicats réclamer le plein emploi, les patrons refuser la diminution des heures de travail tandis qu’on prône la compétitivité et qu’on lance pour cela la robotique ! Il aurait de quoi être encore plus ahuri qu’autrefois s’il était mis au courant des faits les plus récents en ce domaine : la General Electric, aux Etats-Unis, s’apprête à lancer un programme complet d’automation qui pourra remplacer la moitié environ des 37 000 travailleurs de ses chaînes d’assemblages. Un nombre croissant de travailleurs qualifiés va être remplacé par la technologie ; les plus récents robots sont déjà contrôlés par ordinateurs et dans les prochaines années, quand la nouvelle génération de robots qui est en chantier sera réalisée, les meilleurs appareils actuels apparaîtront comme des outils grossiers. Les grandes sociétés d’électronique vont bouleverser le marché des robots avec des engins d’assemblage capables de « voir » et de « sentir » : les laboratoires Draper ont créé une « main » de serrage capable de mesurer les déplacements pendant une opération et sa programmation lui permet de corriger la position d’un boulon qui aurait été placé incorrectement. Une caméra de télévision, faisant office « d’oeil » est utilisée par Renault : elle est capable d’identifier chacune des 200 pièces qui lui sont présentées au hasard sur une chaîne. Le robot peut alors les atteindre, les saisir séparément avant d’effectuer les opérations nécessaires.
La prochaine étape est celle des robots « pensants » qui pourront prendre un nombre restreint de décisions. Ces robots, doués d’autonomie, pourront distinguer les éléments d’un ensemble mélangés dans un chariot, en examiner les défauts, puis décider de les utiliser ou de les rejeter suivant leur état. De telles analyses répétées seront mises en mémoire par le robot qui pourra ainsi observer le taux de reproduction d’un défaut. Et si ce taux venait à dépasser une certaine norme, le robot n’aurait plus qu’à signaler à son collègue robot de la production qu’il faut intervenir à tel niveau de la pièce en question.
On est très loin des rêves d’économistes attardés qui voyaient le développement de l’automatisation créateur d’emplois... pour fabriquer les robots. Non seulement ils se fabriquent déjà eux-mêmes, mais en plus ils se corrigent mutellement.
Et la robotique se développe, et à toute allure pour la raison très simplement expliquée par le directeur de l’assemblage de la société Loockheed en ces termes : « pour chaque dollar que vous dépensez en robotique, vous épargnez en fait trois dollars par an ».

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Devant une perspective aussi prometteuse, comment des scientifiques, comment des chercheurs, qui côtoient chaque jour des moyens aussi révolutionnaires, peuvent-ils manquer d’imagination au point de traiter d’utopiste celui qui vient leur dire : l’ère du salariat s’éteint comme s’est éteinte auparavant l’ère des serfs et de l’esclavage !

* Livre publié par J.D. en 1934.