Une expérience à tenter
par
Publication : juin 1980
Mise en ligne : 6 octobre 2008
CE qui donne à Jacques Duboin cette allure de prophète,
c’est que la doctrine qu’il a fondée reste valable pour ses disciples
bien qu’elle ait été élaborée depuis plus
de cinquante ans quand on relit aujourd’hui ses écrits, on est
frappé de la justesse de ses vues.
Moi qui ai suivi sa pensée, je e crois du moins, je me suis toujours
demandé comment une doctrine aussi claire n’a pu progresser que
dans un public relativement restreint. Une réflexion souvent
entendue : Oui, tout cela est juste mais comment arriver à la
réalisation ? Jacques Duboin, avec son optimisme fondamental,
répondait que les mesures transitoires se mettaient en place
sans même que les gens s’en rendent compte et il citait toutes
les réformes qui mèneront finalement vers la cité
abondanciste ; la sécurité sociale, les indemnités
de chômage, les allocations familiales, les indemnités
de toutes sortes, autant de mesures « transitoires » qui
mèneraient finalement vers notre but.
Il faut bien comprendre que c’est une révolution à laquelle
J. Duboin nous a conviés. Enlever de l’esprit des gens le système
bien ancré des prix- salaires-profits peut seul amener la réalisation
de notre idéal.
Or, cette révolution doit être pacifique car les révolutions
non pacifiques font quelquefois des changements dans les sociétés,
mais e plus souvent, remplacent seulement les dirigeants sans que les
dirigés voient leurs désirs se réaliser : il ne
s’agit pas du tout de changer de Maîtres et de remplacer des oppresseurs
par d’autres oppresseurs.
Donc, révolution non violente. Mais pour y arriver, il faut une
évolution suffisamment rapide de façon que son aboutissement
vienne e plus vite possible. Pour hâter cette évolution,
il faut se servir d’arguments sérieux et d’objectifs réalisables.
En pensant à tout cela, je me suis dit que la marche vers l’économie
distributive pouvait sans doute être avancée par différents
moyens. J’ai pensé que « l’autogestion » dont on
a beaucoup parlé, surtout au moment de la déconfiture
de l’affaire « LIP », pouvait être un de ces moyens.
J’ai surtout pensé aux coopératives de production, car
ces coopératives qui n’existent qu’à l’état embryonnaire
subsistent généralement et n’ont pas eu d’échecs
retentissants comme es expériences d’autogestion. On peut même
dire que dans certains pays, je pense à ISRAEL, ces coopératives,
qu’on appelle des « kiboutz » ont eu un relatif succès.
Il faudrait étudier sérieusement le mécanisme de
ces kiboutz, voir leurs succès et leurs échecs et se rendre
compte si l’instauration de ce genre de coopératives de production
peut nous rapprocher de l’économie distributive.
Nous devons aussi prendre nos gouvernants à leurs propos quand
ils nous parlent de la lutte à mener contre e chômage et
de la place des jeunes clans la cité de demain.
Il ne se passe pas de semaines sans que nous entendions parler de projets
de nos gouvernants pour améliorer la situation. Jusqu’à
présent, toutes ces soi-disant réformes ne montrent pas
que la situation économique s’améliore, bien au contraire.
Le pouvoir d’achat diminue et le chômage s’aggrave.
Les jeunes, surtout, pâtissent de cette situation. Or, il se trouve
qu’ils sont moins persuadés que leurs anciens de la pérennité
du système « prix- salaires-profits ».
J’ai pensé que e moment n’était pas éloigné
où l’on pourrait tenter, avec le concours d’un certain nombre
de jeunes et grâce à leur enthousiasme, la création
d’une coopérative de production qui pourrait être, en petit,
un modèle d’une société basée sur l’économie
distributive.
On nous dit que la complexité du problème de l’emploi
vient de ce que, chaque année, des centaines de milliers de jeunes
ayant terminé leurs études, ont du mal à s’intégrer
dans la vie économique du pays. Le gouvernement est décidé,
il e dit du moins, à lutter pour l’emploi, en général,
et pour l’emploi des jeunes, en particulier, en favorisant par des avantages
financiers et éventuellement des prêts des entreprises
nouvelles à se créer.
On pourrait imaginer, par exemple, comme coopérative pilote,
une communauté de production comprenant dix mile travailleurs,
ce qui correspondrait à une population, non actifs compris, de
vingt à vingt cinq mille habitants. Un plan devrait être
élaboré et soumis au gouvernement avec suffisamment de
retentissement pour que celui-ci ne puisse pas refuser son concours
de départ.
A défaut d’arriver à convaincre e gouvernement, cri pourrait
trouver des concours dans ce qu’on appelle « l’opposition »
ou tout au moins certains membres de l’opposition, soucieux de démontrer
que les réformes dites hardies ne leur font pas peur.
Quant au plan lui-même, je crois qu’un certain nombre d’entre
nous seraient heureux d’y apporter leur collaboration ; il suffit d’avoir
des idées et du bon sens pour l’élaborer : après
avoir délimité une surface d’exploitation à choisir
dans une contrée en voie de dépeuplement, le plan devrait
préparer une infrastructure légère.
Pour cette coopérative « pilote », il faudrait prévoir
une production principalement agricole avec des bêtes de qualité
et des machines perfectionnées à laquelle il faudrait
ajouter quelques entreprises, soit artisanales, soit de petite envergure,
susceptibles, au début de l’expérience, de voir leur production
absorbée en grande partie par les membres de cette communauté
de travail (par exemple, industrie alimentaire, habillement ou autre).
On pourrait même prévoir une entreprise qui serait conçue
pour fournir une grande partie de sa production à l’extérieur
de la communauté. Toutes ces entreprises doivent être créées
avec les tous derniers progrès de la technique afin qu’elles
soient compétitives. Nous devrions appliquer le système
du plein emploi du matériel et des machines, le plein emploi
des hommes passant au second rang.
Une propagande appropriée, lancée si possible avec l’aide
du gouvernement, et en cas de défaillance, l’aide de l’opposition
devrait avoir un certain retentissement auprès de la jeunesse
pour l’inviter à adhérer à une telle communauté.
Pour éviter des débuts trop difficiles, des mesures ou
prêts devraient être consentis pour assurer à chacun
un « minimum vital ».
Les membres seraient avertis qu’il n’y aurait pas de « salaire
» au sens habituel du terme. La répartition du revenu serait
faite suivant le système du
revenu social » préconisé par Jacques Duboin.
Une petite agence serait créée dans cette communauté
qui s’occuperait de la distribution aux membres actifs ou non actifs
(leurs familles) de ce revenu social par l’intermédiaire d’un
embryon de « monnaie de consommation » tel que Jacques Duboin
l’a prévue. Les produits non consommés par cette communauté
seraient mis en vente par cette agence sur le marché national.
C’est elle également qui ferait des achats sur le marché
national pour les besoins des membres.
Avant d’aller plus loin et étant donné le manque de place
pour développer cette idée, nous convions le lecteur à
réfléchir sur ce plan et à adhérer éventuellement
à une commission qui pourrait l’élaborer.
(*) Pierre MOCH est l’auteur du livre « La grande politique vue par un homme quelconque » dont nous avons déjà parlé ici. Ce livre est disponible auprès de l’auteur, par l’intermédiaire du journal (25 F, frais d’envoi compris).