Si c’est obscur, c’est sérieux !


par  H. de JOYEUSE
Publication : juin 1980
Mise en ligne : 6 octobre 2008

UN de nos anciens et fidèles militants a le pénible devoir d’évoluer dans les sphères dites à tort de «  l’Intelligenzia » économico- politique parisienne. Il a fait, dernièrement, une brève synthèse de ses activités au sein de ce milieu malsain, où il s’est efforcé de propager nos thèses. Il n’a rencontré, comme l’on pense, qu’indifférence glacée, sourires pincés, mépris vernis, le tout baignant dans le velouté d’une sauce bancaire à la mode Louis XV. Cependant, il a découvert chez certains un esprit de curiosité, parfois d’honnêteté intellectuelle. Profitant de cette rarissime aubaine, sans vergogne, il a développé son argumentation et déballé son lot de livres signés Jacques Duboin.
Ça a porté. La plupart des prospectés ont déclaré  : « C’est intéressant, effectivement. C’est logique. Mais... (tous unanimement) C’EST TROP SIMPLE ».
Et voilà le fin mot de l’histoire lâché. C’est trop simple. J. Duboin et ses amis s’expriment de façon trop limpide. Boileau écrivait : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Horace disait la même chose. Balançoires. Ce qui est clair n’est pas sérieux !
Pour être sérieux, il faut être touffu, pâteux, visqueux et vachement opaque. Voyez le camarade Marx ! Quel succès  ! URSS, Chine, Pologne, R.D.A., Yougoslavie, Roumanie, Yémen, Afghanistan, Georges Marchais, Mitterand, Mongolie extérieure, j’en passe et des plus marrants, tous sont, bon gré, mal gré, Marxistes !
Or qui a lu Marx ? Personne ! « Le Kapital » ? Indigeste, imbuvable, vésicatoire, barbant, nébuleux. Au quart du bouquin le testard qui a poursuivi la lecture aussi loin, doit bigophoner au S.A.M.U. pour la réanimation. Car Karl Marx, lui au moins, il est pas clair, mais alors pas clair du tout. C’est ce qui est fumeux qui est fumant ! Mais ça fait sérieux !
Tous les pontes du régime capitaliste possèdent la collection complète de la pensée marxiste, les oeuvres d’Engels, etc. Ils vous diront : « Sans doute, nous ne sommes pas d’accord avec la teneur des propos, mais quels génies ! ».
Faux jetons ! Le jour où ils ont acheté au mètre linéaire cette bouquinade (pour épater le visiteur) on a pu mettre du « scotch » sur toutes les pages, ils ne s’en sont pas aperçu, n’ayant jamais eu le vice de le feuilleter ?
Que fait l’économiste voulant être pris vraiment au sérieux  ? Qui veut être détaxé de la clarté pénalisante  ? Ecrivant des articles en bon langage, il les traduit à l’aide des dictionnaires modernes de l’Hexagonal le plus sophistiqué. Ainsi il n’écrit plus « un chèque » mais «  un substitut des espèces » ou « un paysan », mais « une unité résiduelle du secteur primaire  », etc.
Illuminé par la connerie régnante aux sommets (d’où l’on découvre l’ensemble, disait le général Quivousavix) de la politique, du monde des affaires, des cartels, des trusts, des monopoles, de la Trilatérale, etc., Hilarius ne veut plus se laisser traiter de pas sérieux, de minus partiel ou intégral. Il change son Chassepot d’épaule. Désormais, ce que vous lirez de lui sera irréprochablement incompréhensible. Hilarius décide de s’exprimer en hébreu.