La révolution électronique

Science et technique
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juin 1980
Mise en ligne : 6 octobre 2008

PARLER de révolution n’est pas exagéré quand on songe à la vitesse à laquelle se sont déroulés et se déroulent les progrès dans la technique électronique. Voici, en effet, pour mémoire, quelques dates :
Alors que les propriétés électrostatiques de corps comme l’ambre (« elektron » en grec) étaient connues quelque sept siècles avant Jésus-Christ, il a fallu près de 2 000 ans pour que se développe l’étude des phénomènes électriques. Et ce n’est qu’il y a moins d’un siècle que le mot électron fut employé pour la première fois dans son sens actuel, par un Irlandais, Stoney, en 1891.
La découverte des faisceaux d’électrons, sous le nom de rayons cathodiques est due à Hittorf, en 1869, et ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que Crookes en aborda l’étude. C’est en 1897 que J.-J. Thomson mesura le rapport de la charge à la masse de l’électron et en 1911 que Millikan détermina la valeur de la charge élémentaire.
Bien entendu, pendant ce temps se développait parallèlement l’électricité, l’électromagnétisme, l’électrocinétique et leurs applications. Et si la première lampe à incandescence (à filament de Carbone) date de 1878, ce n’est que vers 1880 qu’on commença à envisager l’électricité à l’échelle infiniment petite des atomes et des électrons. La théorie corpusculaire de l’électricité ne se fondit à celle du milieu atomique et des particules élémentaires qu’avec Bohr, Einstein, Planck, Louis de Broglie, Schrödinger et Heizenberg, au 20’e siècle.
Les techniques de communication suivirent à peu près le même rythme : c’est en 1840 que Morse inventa le télégraphe électrique et en 1875 que Bell inventa le téléphone. La radio, la « télégraphie sans fil » date de la Première Guerre Mondiale et le haut-parleur n’a remplacé l’écouteur qu’en 1925. Ainsi la consommation de masse de la radio n’a débuté que dans les années 30.
En 1935, une industrie démarre ; celle de la construction séparée des composants électroniques. Puis c’est la naissance des radars, et la Seconde Guerre Mondiale doit la plupart de ses moyens à l’électronique.
Dès 1945, le public bénéficie des retombées de ce développement. C’est, d’une part, l’essor de la télévision aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne et d’autre part le premier ordinateur, construit à l’Université de Pensylvanie : l’E.N.I.A.C.
Mais bien vite, tout va changer et s’accélérer grâce à la découverte des transistors qui en 1948 remplacent les tubes. C’est la première révolution électronique, car les volumes vont être divisés par dix, par cent, puis par 10 000. Et bien entendu les coûts sont réduits dans les mêmes proportions. Et ceci donne lieu à un prodigieux développement dans tous les domaines, non seulement pour les récepteurs radio, mais aussi les magnétophones et les disques. Le couronnement de cette étape est sans doute la réalisation des premiers satellites de communication (SCORE en 1958) ouvrant l’ère de la télécommunication spatiale.
L’accélération dans les progrès électroniques se voit particulièrement bien dans le développement des ordinateurs. L’E.N.I.A.C. était un monstre qui pesait 30 tonnes et contenait 18 000 tubes. Mais de 1959 à 1964, I.B.M. investit la bagatelle de 25 milliards de nouveaux francs pour lancer sa série 360 qui marque « la première génération » des calculateurs et fait 500 000 additions par seconde.
La seconde étape est celle des circuits intégrés (1960), le silicium, bon marché, remplaçant le germanium dans les transistors.
1970 est l’époque de l’intégration à grande échelle  : 10 000 transistors tiennent sur quelques millimètres carrés. Les ordinateurs et leurs périphériques (les appareils permettent par exemple l’entrée et la sortie des calculs : claviers, imprimantes, etc.) peuvent être consultés à distance.
La troisième étape est encore plus spectaculaire que les deux autres : c’est celle des micro-processeurs, qui font véritablement fondre les volumes et les coûts (au même rythme, le prix de la Rolls Royce serait tombé à 35 F). Lorenzi et Le Boucher (*) décrivent ainsi cette révolution en cours :

1975-1980

Dans le domaine individuel, cette période est encore celle du « gadget » : calculettes, montres à quartz, jeux « vidéo », premiers microordinateurs dans l’électro-ménager, magnétoscopes pour grand public, réglage électronique des appareils photographiques. Les premières cartes de crédit font leur apparition, le débit étant fait tous les mois. C’est le début des tableaux de bord numériques, de l’allumage et de l’injection électronique pour les voitures. C’est aussi la naissance de la première machine à écrire à mémoire capable de traiter les textes. C’est la naissance du service « Transpac » (réseau de transmission d’informations par paquets).

1980-1985

La seconde phase doit être « celle des expériences autour de l’écolier et de la ménagère, en passant par l’automobiliste, le médecin et l’usager des P.T.T. »  : premiers ordinateurs dans les lycées, généralisation de l’enseignement assisté par magnétoscopes, vidéo-disques, vidéoconférences ; production en série des ordinateurs à usage domestique, caméras électroniques miniatures, écrans plats géants pour la télévision, développement du télécommerce : achats à distance, terminaux-points de vente des grands magasins, cartes de crédit à débit simultané, réseaux interbancaires, passeports magnétiques, régulation électronique du trafic automobile ; développement des appareils médicaux individuels, des prothèses électroniques, premiers hôpitaux à informatique intégrée et ordinateurs pour les professions libérales ; annuaire électronique, téléphone à rappel automatique, visiophone, télétextes, télécopies dans les entreprises, télédistributions, composition électronique des journaux et télémessageries, débuts du courrier électronisé. C’est la phase de généralisation de la commande numérique pour les machines-outils, de l’automatisation des raffineries de pétrole et des usines de l’industrie chimique, de l’implantation des réseaux de grandes capacités à fibres optiques et du développement des satellites de télécommunication et de télévision. Le langage informatique est encore simplifié jusqu’à devenir accessible à tous, les machines à traiter les textes s’améliorent et se répandent, l’assistance par ordinateur se généralise.

1985-1990

La troisième phase doit être celle de l’intégration, celle qui verra les plus grands bouleversement dans les conditions de vie. C’est la phase d’interconnexion entre les divers réseaux et les terminaux domestiques, donc de la liaison entre tous les procédés électroniques d’information, de commande et d’automatisation, toutes ces fonctions audiovisuelles ayant été numérisées (**). Cette phase verra la transformation ou la disparition de tout un ensemble de métiers, les usines étant robotisées  : dans l’automobile (General Motors s’apprête à être dans les dix années à venir le premier producteur mondial de robots) , dans les industries électriques, dans tout le travail . de bureau qui n’aura plus rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui, dans les banques, dans l’administration. Ces robots inventant même des robots plus perfectionnés qu’eux. Cette période sera celle où de nouvelles technologies transformeront l’audiovisuel et amèneront une refonte non seulement des industries mais aussi des services culturels édition, presse, cinéma, télévision, spectacles - même la culture n’échappera évidemment pas à cette révolution.

(*) Dans « Mémoires volées », collection « Visages de l’an 2000 ».
(**) Tout texte, toute courbe, est transformé en un nombre en numération binaire, c’est-à-dire en une suite de 0 et de 1, ou « bits ».