Les chemins de l’émancipation humaine
par
Publication : juillet 2001
Mise en ligne : 28 septembre 2008
Nous venons d’apprendre avec beaucoup de peine qu’une nouvelle crise cardiaque a emporté le Docteur Rosan Girard, figure marquante du mouvement anticolonialiste des Antilles francophones, et qui avait honoré ces colonnes, plusieurs fois [1], de ses réflexions.
Ce révolutionnaire d’Outre-mer, comme il se définissait lui-même, après avoir fondé le Parti communiste en Guadeloupe, dont il fut longtemps député, avait rompu avec ce parti. Il était en total désaccord sur la façon dont les PC ont appliqué l’enseignement de K.Marx. Dans ses ouvrages, R.Girard montrait, en relisant Marx, que son enseignement, adapté aux données et aux possibilités d’aujourd’hui, mène à l’émancipation de l’homme dans une société postcapitaliste planétaire.
Son dernier livre, édité à compte d’auteur [2], prône et motive la rénovation révolutionnaire nécessaire des partis politiques dits communistes et socialistes. Sa conclusion, qui illustre la force et le caractère exceptionnellement humaniste et universaliste de la foi révolutionnaire de Rosan Girard, est tout à fait d’actualité et c’est le message d’espoir qu’il nous laisse en guise d’adieu :
La véritable conclusion à laquelle je suis maintenant parvenu revêt la forme d’une allégorie. Voici : la profession de berger me paraît apte à susciter la vocation de poète et de prophète et je présume que parmi les bergers, il ne peut manquer de se trouver quelques individus à la fois poètes et prophètes. Lorsque vient la pé-riode de transhumance, le berger ordinaire marche avec son chien à proximité directe de son troupeau durant toute la migration. Le poète-prophète, lui, se porte bien en avant de ses moutons, laissant à son chien fidèle le soin de les garder et de les contraindre à suivre le bon chemin. Il marche si en avant de son troupeau, que c’est déjà pour lui le jour, quand pour ses moutons, c’est encore la nuit. Et que voit notre berger, poète et prophète ? Que la montagne n’est plus escarpée et aride mais qu’elle est devenue un interminable champ de blé mûr, pour une bonne part déjà moissonné. Les moissonneurs sont des hommes de tous âges, tous actifs et au travail. Ils sont de toutes races et de toutes couleurs, des jaunes, des blancs, des noirs, des métis. Il les reconnaît. Il y a là les affamés du Tiers monde, les travailleurs conscientisés, les pauvres anciens et nouveaux, les écologistes, les combattants de la paix, des hommes de foi chrétienne derrière leur croix, de nombreux musulmans avec le croissant, des protestants, des Juifs. Il les identifie parce que sur les granges où les plus actifs engrangent déjà le blé moissonné, il y a d’immenses inscriptions en lettres clignotantes “Bloc historique des forces sociales révolutionnaires mon-diales”. Et voilà qu’au beau milieu de son mirage étourdissant, le berger poète et prophète voit que les moissonneurs ne sont, en réalité, que ses moutons, ses moutons transformés qui avaient décidé que plus jamais ils ne se contenteraient d’un peu d’herbe tendre, à consommer avant d’aller à l’abattoir. Soudain la masse de moutons-hommes, foule immense, s’arrête de moissonner et d’engranger. Au-dessus de cette impressionnante immobilité, s’élève maintenant une clameur d’une intensité indescriptible. Cette clameur, qui paraît vouloir faire voler en éclats le ciel et la terre, est insaisissable au début. Les oreilles de notre berger poète et prophète prennent le relais de ses yeux et s’efforcent de déchiffrer le message de ce volcan de décibels en éruption. Les moutons-hommes ne parlent pas, ils hurlent, ils hurlent, comme s’il s’agissait pour eux d’atteindre jusqu’aux confins de l’univers. Et au fur et à mesure qu’ils hurlent, d’autres moutons-hommes innombrables, sortant on ne sait d’où, viennent grossir leurs rangs. Et le berger prophète perçoit maintenant très distinctement ce que hurle ce rendez-vous de toute la terre : « C’en est fini du règne de l’argent. Nous entreprenons de bâtir une nouvelle société : une communauté mondiale autogérée pacifique et fraternelle de travailleurs associés produisant, non pour le profit, mais pour la satisfaction directe des besoins de l’homme. » Et par-dessus la multitude infinie, la clameur déchiffrable se répercute en mille échos sonores jusqu’aux derniers confins de la planète où se lève le soleil, inaugurant le Jour I de l’An I de l’Histoire.
[1] Voir GR Numéros 919 (avril 1993), 921 (juin 1993), 930 (avril 1994), 944 (juillet 1996) et 996 (février 2000).
[2] On peut le commander chez l’auteur : 8 Passage DuGuesclin, 75015 Paris. (224 pages) Prix 95 F. l’exemplaire, frais d’expédition 25 F.