En pleine utopie… !

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : juillet 2001
Mise en ligne : 21 septembre 2008

Constatant qu’une grande entreprise licencie alors qu’elle fait des bénéfices, on réclame d’urgence une loi qui interdise pareils licenciements au mépris des employés. Découvrant l’ampleur des fonds qui échappent au fisc avec l’aide de sociétés financières [1], et le nombre “d’affaires” où des élus sont compromis, les électeurs décident… de s’abstenir de voter à la prochaine occasion. Ces attitudes manifestent, outre l’incohérence, le refus (la peur ?) d’aller au fond des choses. S’en prendre aux effets dispense d’en chercher la cause.

à l’échelle internationale, le mot d’ordre est aux dérèglementations, pour laisser aux marchés et à la finance la plus complète liberté. Au plan national, le Parlement ne cesse de pondre de nouvelles lois, il y en a pléthore mais elles ne sont pas appliquées, il faudrait un flic derrière chaque individu et un gendarme derrière chaque flic ! Comment peut-on, dans ces conditions, imaginer que de nouvelles lois vont pouvoir limiter les abus, combler les inégalités, corriger les absurdités, éviter les dangers du productivisme et supprimer les injustices ?

Il faut remettre en question l’idéologie qui en est la cause parfaitement logique.

Ce qui amènerait à réfléchir sur la façon dont l’activité économique est orientée : son organisation est laissée au marché, qui l’oriente par l’attrait du gain, sous quelque forme que ce soit. C’est simple, efficace au point de vue quantitatif, et très stimulant. Mais il faut voir que cette recherche de gain sert d’intermédiaire, puis s’impose, et finalement dévie toute autre motivation.

L’intermédiaire a pris tant d’importance qu’il en arrive à masquer, sans discussion, la raison d’être de toute entreprise. On ne s’aperçoit des conséquences qu’après. Un éleveur n’a plus pour objectif des animaux sains ; si son concurrent fait baisser les cours en engraissant beaucoup de vaches aux farines animales, il est “obligé” de se mettre aux farines meilleur marché : il “faut” qu’il soit compétitif. Ses scrupules, ses motivations, ses sentiments, son goût du métier bien fait, il doit mettre tout cela de côté pour “éviter la faillite”. En tout cas la situation se présente pour lui sous cet aspect. Pour lui comme pour tout autre entrepreneur.

L’utopie est de croire qu’on va pouvoir le raisonner, le forcer par des lois, encore des lois, et puis des contrôles (irréalisables), à chercher la qualité aux dépens de son revenu ; ou bien qu’on va pouvoir maintenir son revenu en faisant appel aux bons sentiments du client pour l’amener à payer plus cher un produit dont il ne peut pas vraiment savoir s’il a été fabriqué plus proprement que celui qui lui permet d’acheter plus.

Plutôt que se lamenter sur les vices de la race humaine, blâmer son avi-dité ou prêcher de bons sentiments, mieux vaut prendre conscience que le système du marché exalte précisément ces défauts en donnant, de fait, l’avantage au plus égoïste et au moins scrupuleux. Et chercher à lui substituer une autre logique, supprimant cet écran du gain qui aboutit à dévoyer toute activité. C’est l’objectif de notre proposition d’une monnaie de consommation non transférable, elle permettrait que des revenus soient assurés à chacun pour qu’il puisse vivre et s’épanouir en exerçant son activité, et non plus gagnés au mépris des autres.

Une telle réflexion est bien plus constructive que celle qui entretient le culte imposé envers les bienfaits imaginaires de la loi du marché… et alimente la peur de penser.


[1Il faut lire à ce sujet Révélations, de Denis Robert et Ernest Backes, (les arènes éditeur) !. Nous en reparlerons dans le prochain numéro.