Chronique de l’absurde


par  R. BORREDON
Publication : novembre 1978
Mise en ligne : 8 septembre 2008

LA lecture de la presse et des périodiques spécialisés dans l’étude des phénomènes socio économiques ne laisse pas de renforcer l’impression de confusion, voire d’anarchie, qui préside aux rapports commerciaux des pays occidentaux entre eux et aux rapports analogues de ces mêmes pays avec le tiers monde et les producteurs de la manne pétrolière.
Il est vrai qu’en ce qui concerne ces derniers, ils se présentent avec des caractères si divers qu’il paraît difficile, sinon impossible, d’accorder leurs intérêts et, partant, d’aboutir à une politique cohérente à leur égard.
Comment en effet traiter de la même manière les émirats du Golfe Persique, de faible population, et des pays comme l’Algérie et la Lybie aux besoins économiques et sociaux illimités  ?
Il est bien évident que si des mesures trop sévères de restriction relatives à la consommation d’énergie étaient appliquées par les pays importateurs entraînant pour les pays producteurs une diminution sensible de leurs exportations, ces derniers ne pourraient recourir qu’à une augmentation des prix pour maintenir un niveau de recettes nécessaire à leur survie.
Ce qui annulerait pour les pays importateurs l’effet financier escompté des mesures de restriction.
On ne voit pas comment sortir du dilemme. Dans cette optique, la seule réaliste, la remontrance adressée au président Carter par les occidentaux critiquant le « gaspillage » d’énergie pratiqué aux Etats-Unis perd toute valeur et prend le caractère d’une manifestation d’humeur masquant très mal l’impuissance de nos gouvernants à résoudre leurs propres problèmes.
Comme d’ailleurs tous les problèmes socio-économiques qui se posent actuellement à un système périmé et dépassé, que toutes les médecines traditionnelles ne parviennent pas à maintenir en vie.

*

Le périodique économique « l’Expansion  » de juillet-août 78 en donne un exemple saisissant.
Dans un article très documenté sur les comptes de la France pour 1978 et sur les perspectives que l’on doit escompter pour 1979, il présente l’évolution propre à notre pays dans les domaines sociaux, économiques et financiers. Les comptes de la France pour 1978, estimés par le « Laboratoire de l’Expansion », équilibrent « l’Offre » et la « Demande » (Consommation des ménages et des Administrations + Investissement brut + Variation des stocks + Exportations) à la somme de 2 271 milliards de francs, la consommation et l’investissement des ménages intervenant dans ce total pour 1 415 milliards, soit un peu plus de 62 %.
Les prévisions du « Laboratoire de l’Expansion » pour l’année 1979 établissent l’équilibre de «  l’offre » et de la « Demande » à 2 362 milliards, la consommation et l’investissement des ménages intervenant dans cette somme pour 1 460 milliards, soit un peu moins de 62 %.
Alors que l’Offre, en volume, serait supérieure en 1979 de 4  % à 1978, la consommation et l’investissement correspondant des ménages ne serait en 1979 supérieure que de 3,2 % à 1978.
C’est donc une régression dans ce domaine qu’il y aurait lieu de prévoir, récession annulant en fait toutes les mesures prises en faveur des catégories sociales défavorisées.
Quant aux explications relatives à l’évolution des phénomènes étudiés, elle ne fait que démontrer, et la complexité de leurs incidences réciproques, et l’impuissance des gouvernants et des responsables techniques de porter remède efficace à une situation dont les aléas permettent de craindre le pire.
Aussi bien les conclusions de l’« Expansion » sont-elles empreintes d’un prudent pessimisme quant au proche avenir.

*

D’ailleurs dans la présentation des comptes, « l’Offre » précède, commande et limite la « Demande », les problèmes fondamentaux sociaux et humains n’étant jamais évoqués et solutionnés qu’au travers de cette optique imposée par le Système toujours en vigueur. La « masse monétaire » assurant les échanges continue de s’accroître au rythme de l’inflation, sans que le « Crédit » qui en représente la majeure partie soit effectivement contrôlé et rationalisé.
Les relations internationales sont directement affectées par ce désordre et les conclusions des réunions des pays dits « riches » telles que celles oui viennent de se tenir en ce mois de juillet à Brème et à Bonn, ne font que rendre plus évidentes les difficultés rencontrées pour apporter une solution valable et raisonnable à cet aspect du problème.
Il est de plus en plus patent qu’un changement profond des structures et des modalités du système capitaliste, basé exclusivement sur le profit et la rentabilité financière devient nécessaire.
Le problème réel constitué par la permanence de classes sociales défavorisées (économiquement faibles, sans-emploi et chômeurs entr’autres) doit conduire à mettre en place un système déterminant « l’Offre » à partir de la « Demande », cette dernière étant égale aux « Besoins ».
Cette opération s’avère parfaitement possible dans les pays industrialisés qui ont à leur disposition les capacités intellectuelles et techniques adéquates.
Il est inconcevable que le développement de ces capacités n’ait pas encore permis de satisfaire les besoins essentiels de l’ensemble de leurs populations.
C’est inconcevable et inadmissible.
Après l’établissement d’une première équation ou équivalence financière et monétaire à l’intérieur de chacun des pays dits « riches « , d’autres équations ou équivalences pourront régler leurs échanges de toute nature entre eux, puis les mêmes échanges entre ces pays et les pays en voie de développement.
La stabilisation générale des prix en résultera, donc celle des masses ou signes monétaires dont l’accroissement sera automatiquement équilibré par la « Demande  ».
C’est la solution proposée dans « La fin d’un système  », solution dont l’adoption paraît de plus en plus inéluctable.

(1) R. Borredon est l’auteur d’une étude intitulée « La fin d’un système » que nos lecteurs peuvent nous demander.