Ils y viennent !
par
Publication : novembre 1978
Mise en ligne : 8 septembre 2008
Quand on ne sait quel argument nous opposer, il arrive souvent qu’on nous traite, c’est si facile, d’utopistes que personne ne prend au sérieux. Bien au contraire, la lecture des journaux montre que de plus en plus nos idées font leur chemin. Elles sont reprises un peu partout.
Avec l’aide de nos lecteurs attentifs à l’actualité, G. Steydlé entreprend ici d’en rendre compte.
" « Le Monde » (28-10-1977)
LA SOCIETE INUTILE
« Le degré de productivité auquel
sont parvenues les sociétés industrialisées doit
leur permettre de pourvoir en un minimum de temps à leurs besoins
matériels et d’en consacrer toujours davantage à l’épanouissement
du défi humain. D’une part, en améliorant sans cesse notre
capacité de comprendre et de contrôler l’univers. D’autre
part, en renforçant une solidarité humaine dont l’expérience
a montré qu’elle était aussi aléatoire dans la
pénurie que dans la consommation acharnée qui caractérise
actuellement nos sociétés. Compte tenu des formidables
moyens de destruction dont celles-ci disposent et d’une complexité
qui les rend d’autant plus fragiles, cette dernière exigence
conditionne vraisemblablement la poursuite du premier objectif.
Cependant, cette solidarité ne serait pas acceptable si elle
devait conduire à la mise entre parenthèses des aspirations
individuelles de chacun de nous. Bien au contraire, elle ne peut avoir
de sens qu’en donnant à tous le sentiment de participer à
une aventure commune qui n’a aucune issue déjà tracée,
sur laquelle n’importe quel individu peut influer, pour laquelle chacun
est nécessaire, toute expérience unique et irremplaçable.
Il n’est sans doute pas de tâche plus urgente pour notre société
que d’assurer à chaque homme la liberté indispensable
pour découvrir la voie qui le conduira à prendre part
à ce défi humain de la façon la plus conforme à
ses aspirations. Utopie, dira-t-on, que cet espoir de voir une passion
défaillante pour satisfaire les besoins propres de chacun réapparaître
et se renforcer en vue d’une aventure commune... Et si c’était
la seule chance de pérennité, non d’une humanité
abstraite, mais de chacun de nous, dans un monde sans au-delà
? »
André GRJEBINE
*
" « La Croix » (25-7-1978)
LA DELIVRANCE DU TRAVAIL
« On dirait que le plein emploi une fois assuré, tout le reste serait donné par surcroît. Or en soi le plein emploi salarial n’est pas un idéal. S’il était réalisé, en tout cas, ce serait avec des durées de travail de plus en plus courtes. Et, à bien y réfléchir, ce n’est pas tellement le plein emploi que réclament les syndicats, c’est bien plutôt le plein revenu. Mais cette nouvelle plénitude n’a pas encore été clairement formulée.
L’allocation de vie
C’est J.-B. Jeener qui a posé la question :
« Fautil créer l’allocation de vie ? » Qu’est-ce
donc à dire ? Que la société de demain pouvant,
avec le développement de l’informatisation, produire de plus
en plus et de mieux en mieux, en utilisant de moins en moins de travail,
elle pourrait assurer à chacun, même s’il intervient très
peu dans la production, une sorte de revenu existentiel minimum ?
Evidemment, il faudrait déterminer les règles de calcul
et d’attribution de cette allocation de vie. Et ce ne sera pas commode.
Mais l’idée est en l’air, comme le prouvent les travaux d’un
certain ingénieur américain James S. Albus, spécialiste
de l’automation.
« Un revenu substantiel, écrit Albus, donnerait à
l’individu le pouvoir de résister aux pressions politiques indésirables.
Les hommes ne seraient plus contraints d’adhérer à des
partis de masses pour protéger leurs droits et ainsi de sacrifier
leur individualité à la sécurité. »
Henri GUITTON, de l’Institut
(Envoi de M. MARLIN)
*
" « Elle » (14-11-1977)
A BAS LE TRAVAIL
« Un film : « Pour Clémence »
de Charles Belmont. Le film raconte l’histoire d’un cadre au chômage
qui ne sait que faire de son temps libre. Dès les premières
projections, Belmont a reçu des dizaines de coups de fil.
« On dirait, dit Belmont, qu’un mouvement grandit, au-delà
des partis politiques, celui des gens qui veulent se sentir bien dans
leur vie, et ne pas la perdre enfermés dans un travail sans intérêt.
»
Désespoir des partis pour qui l’homme est avant tout un travailleur.
Voilà qu’il se met à vouloir être aussi un homme
! »
Françoise SIMPERE
(Envoi de Marcel COUTON)
*
" « Le Nouvel Observateur » (11-17-9-1978)
CE QUI NOUS MANQUE POUR ETRE HEUREUX
« Il n’est pourtant pas difficile de dégager,
pour les dix à vingt ans qui viennent, quelques orientations
simples qui éclaireraient l’avenir et réconcilieraient
la vie et la politique. Par exemple :
- nous avons besoin non que l’Etat nous prenne intégralement
en charge mais qu’il nous laisse ou rende des moyens pour notre prise
en charge autonome, individuelle et collective ;
- puisque la productivité doublera facilement dans les vingt
ans qui viennent, il sera possible, en travaillant moitié moins,
d’assurer à tous et à chacun tout le nécessaire
et beaucoup de superflu, à condition de supprimer les destructions
inutiles et les gaspillages somptuaires ;
- le seul objectif raisonnable, pour les années 1990, est la
semaine de vingt heures pour tous, et le revenu social garanti, à
vie, à chacun en échange de vingt mille heures de travail
à accomplir en autant ou en aussi peu de journées qu’il
lui plaira ;
- le défi auquel le capitalisme est incapable de répondre,
ce n’est pas le maximum d’emplois et le maximum de consommation et de
produits mais le maximum de satisfaction avec le minimum de travail,
de produits et de contraintes ;
- une part de gestion centrale sera sans doute toujours nécessaire
; toutefois son but doit être non de tout englober mais, au contraire,
de, dégager des espaces toujours plus étendus d’autonomie
dans lesquels puisse s’épanouir l’infinie diversité des
capacités humaines ;
- la sortie de la crise donnera naissance à une société
plus malheureuse encore (quoique peutêtre plus distraite) si elle
ne s’opère pas très consciemment dans cette direction-là.
Répondra-t-on encore que tout cela relève de l’utopie,
alors que la politique, elle, consiste à programmer des réformes
pour les six mois ou les cinq ans à venir, non à préparer
une société fondamentalement différente ?
Comme si, en une période où le système social,
la civilisation productiviste et donc l’avenir lui- même sont
en crise, l’intérêt principal des programmes à six
mois ou cinq ans ne venait pas précisément des changements
fondamentaux qu’ils amorcent ou préfigurent.
Définir une civilisation, une société, dans lesquelles
pourront se déployer la vie ou, plutôt, les vies infiniment
diverses et riches que nous désirons vivre ; définir les
voies et les instruments d’y parvenir, voilà le seul moyen de
sortir de la politique de crise et de la crise de la politique.
Quels changements partiels, ici et maintenant, en vue de quels changements
fondamentaux et d’ensemble ? Quels changements fondamentaux et d’ensemble
pour lever les obstacles au pouvoir de chacun sur sa propre vie, au
« droit de poursuivre le bonheur » ? Telles sont les seules
questions vraiment importantes. »
Michel BOSQUET
*
" « Le Journal du Dimanche » (25-7-1978)
« Le capitalisme agonise. Le marxisme est devenu une religion de fanatiques. C’est une 38 voie qu’il faut trouver. Un économiste français mort il y a quelques années, Jacques Duboin, préconisait une « Economie Distributive ». C’est sans doute dans cette direction qu’il faut aller »...
René BARJAVEL
*
" « Le Monde » (27-6-1978)
TICKET D’ENTREE
« Comment modifier l’opinion moyenne, rappeler
qu’un homme en vaut un autre, fût-il clochard, handicapé
de naissance, voué aux travaux les moins « reconnus »
par la société ? Un de nos confrères, Jean-Baptiste
Jeener a eu une idée simple. En attendant qu’une redistribution
des revenus par l’impôt ou autrement diminue substantiellement
les écarts entre riches et malheureux, il faudrait qu’une «
allocation de vie » soit versée à chaque Français.
Du seul fait qu’il est né et qu’il a par là même
des besoins incompressibles, il toucherait mensuellement 1 millier de
francs (la somme serait évidemment révisable avec le coût
de la vie). Une économie développée doit pouvoir
sans trop de dommages verser ce « ticket d’entrée »
dans la vie à chaque communauté, estime-t-il. La formule
entraînerait en effet la suppression des allocations familiales,
les indemnités de chômage, d’une partie des aides aux personnes
âgées, aux veuves de guerre, etc.
La réforme suggérée par M. Jean-Baptiste Jeener
est plus radicale et plus simple : nul n’aurait besoin de faire une
déclaration pour obtenir son minimum vital. L’acte de naissance
déclencherait automatiquement le versement mensuel qui se poursuivrait
jusqu’à la mort. On ne pourrait parler d’assistance puisque le
« fils de famille » comme l’enfant d’O.S. toucheraient la
même chose. Les parents bénéficieraient de cette
prime jusqu’à ce que l’enfant subvienne à ses besoins.
De même l’armée percevrait l’« allocation de vie
» des appelés, l’administration pénitentiaire celle
des prisonniers, et les hôpitaux celle des malades, jusqu’à
la fin de leur prise en charge ».
Analyse par P. DROUIN de « Délivrer le
travail » de J.-B. JEENER.
(Envoi de Mme POMMEROLLE)
*
" « Télé 7 Jours » (7-1-1978)
NOUS TOUCHERONS NOS RETRAITES
« Tout le monde sait, et les « experts
» mieux que personne, que depuis des décennies la produc
tion augmente alors que le nombre d’heures de travail diminue. Et la
France est loin d’utiliser à plein ses possibilités de
production actuelles (il s’en faut de 20 à 30 %). Il est donc
indiscutable que la production globale de la France pourra être
maintenue et même augmentée progressivement, malgré
une réduction du nombre des actifs. Or, ce volume de production
est évidemment la seule chose qui importe. A quoi serviraient
le progrès technique, l’automatisation, etc., si nous ne vivions
pas mieux, matériellement, en travaillant moins ! Retraités,
soyez rassurés, et vous aussi, les actifs d’aujourd’hui. Si hauts
placés soient-ils, n’écoutez pas les pessimistes, ce sont
des attardés dont l’ignorance et la mauvaise foi ne méritent
pas votre attention. »
(Envoi de R. PELOFI )