Quel chômage ? Quel plein emploi ?


par  M.-L. DUBOIN
Publication : novembre 1978
Mise en ligne : 8 septembre 2008

LE chômage croit et ne va pas cesser de croître dans les pays industrialisés ». C’est en général sous cette forme qu’est présentée « la crise ». Partant de là, syndicats et partis de gauche réclament avec obstination « le plein emploi » des travailleurs, n’ayant en vue que leur gagne-pain. Et c’est ainsi qu’on peut voir des ouvriers placés dans la situation aberrante de réclamer, pour vivre, qu’on fabrique des engins de mort !
Il est pourtant essentiel de pouvoir choisir !
C’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu !

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Il importe de ne pas tout mélanger. Le chômage qui croît, c’est celui du secteur que j’appellerai le secteur de l’entretien. Le domaine où s’élabore tout ce qui permet à l’homme de survivre : son alimentation d’abord, son habitat, ses vêtements, ses déplacements, etc... Le domaine de la production et des services utilitaires.
Dans ce vaste secteur, le chômage croît pour la bonne raison que l’homme a fait tout ce qu’il pouvait pour cela ! De tout temps il a cherché à ménager sa propre peine en mettant au point des techniques susceptibles de produire pour lui et plus que lui. C’est le but poursuivi par les générations qui nous ont précédés et c’est aussi le sens même de l’investissement des sociétés capitalistes qui suppriment de la main-d’oeuvre afin d’améliorer leur rentabilité. Il faut être arriéré, « demeuré », pour nier le bond fantastique qu’a ainsi réalisé la productivité, dans tous les domaines, au cours des dernières décennies. Il faudrait être aveugle pour ignorer, après l’étude publiée par Simon NORA et Alain MINC (1), le bouleversement que nous apportent la télématique et l’informatique dans le domaine des services.
Mais je n’insiste pas, car nous ne cessons, dans ces colonnes, de rapporter des exemples de cette croissance fulgurante des possibilités techniques. Et il semble bien que ceci soit enfin de mieux en mieux reconnu, comme en attestent les témoignages que G. STEYDLE collectionne maintenant sous la rubrique « Ils y viennent » (2).

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Ce qui caractérise le secteur de la production, c’est que, créant des richesses, il distribue le pouvoir d’achat, sous quelque forme que ce soit salaires, bénéfices...
Il n’en est pas de même dans l’autre secteur de l’activité humaine, celui qui ne se manifeste pas par des biens de consommation ou rien d’immédiatement concret : le secteur de l’activité purement intellectuelle, artistique, culturelle et que j’appellerai le secteur de l’évolution humaine.
La véritable, l’énorme révolution à laquelle nous assistons est le transfert de l’activité du secteur de l’entretien vers le secteur de l’évolution. Débarrassé de la charge d’avoir à fabriquer lui-même, à la sueur de son front, ce dont il a besoin pour vivre, libéré par les machines qu’il a créées, l’homme accède à une autre civilisation en ayant la possibilité de consacrer de moins en moins de son temps a son entretien et de plus en plus à la réflexion, à l’art, à la philosophie, au sport... C’est pour lui une véritable mutation, dans le plein sens de ce mot.

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Ce transfert, cette incontestable évolution de l’humanité, est matériellement, techniquement possible. Par quelle aberration peut-on encore essayer de nous persuader qu’au lieu de le favoriser il convient de vivre dans l’austérité  ?
Il suffit, pour s’en rendre compte, d’observer à quel niveau se placent les objections lorsque nous proposons le changement de structure (3) qu’appellent ces possibilités nouvelles. Lorsque le Parti Socialiste, nous rejoignant, estime qu’il suffirait de 35 heures (au lieu de 42) hebdomadaires de travail pour assurer la production française, les conservateurs, tel Pierre DROUIN, du journal « Le Monde », opposent l’objection suivante : à salaire égal, ce serait une charge supplémentaire intolérable pour les producteurs, charge qui se répercuterait sur les prix, sur le chiffre des exportations et... augmenterait le nombre des chômeurs. Et dans le système des prix-salaires-profits, cela est indéniable.
De même, on rétorque qu’amorcer seulement une économie partiellement distributive en subventionnant la consommation par des allocations diverses, familiales, de vieillesse, de chômage, etc., c’est alimenter l’inflation dans ce système économique. Et une telle relance, c’est P. Drouin qui le dit, entraînerait un plan de « redressement » qui engendrerait un nouveau chômage.
Ainsi, de l’aveu même de nos plus réputés économistes, il n’y a pas, dans ce système, de recette pour lutter contre le chômage qui se développe dans le secteur de l’entretien. Pas plus qu’il n’y a de moyen de développer le secteur de l’évolution tous les budgets de ce secteur, recherche scientifique, enseignement supérieur, activités artistiques et culturelles, protection de l’environnement, etc., subissent une catastrophique régression, pour la « bonne » raison qu’ils... ne rapportent rien : lis ne sont PAS RENTABLES !

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Ce sont donc bel et bien les structures économiques qui constituent le carcan entravant l’épanouissement que l’homme a aujourd’hui à sa portée : il n’y a pas d’autre issue raisonnable que l’abolition du salariat.

(1) Voir l’article de J.-P. Mon dans le n° 751 de « La Grande Relève ».
(2) Voir plus loin, page 6.
(3) Exposé pages 15 et 16.