Révolution sans révolutionnaires ?
par
Publication : novembre 1977
Mise en ligne : 27 mai 2008
DANS le contexte économico-social que nous vivons, tracer un plan de réformes et de mesures à prendre est ingrat et hasardeux ses pertinences gênent, sa clairvoyance nous fait qualifier d’utopiste. Les plans de la gauche, dite progressiste, se gardent de ce risque, en se cantonnant avec une curieuse persévérance, aux réformettes de la superstructure. Le problème serait-il encore là ? Depuis 1871, il s’est passé un siècle de progrès décisifs du mode de production, lequel bouscule les infrastructures voisines et fait voler en éclats les institutions socio-politiques qui en découlent.
TENTONS DE TIRER ENSEIGNEMENT DES FAITS ECONOMIQUES.
La grande inquiétude des lendemains se généralise
: les uns sont inquiets pour leurs salaires, les autres pour leurs gains,
d’autres encore pour conserver l’avoir, fruit de leur activité
passée.
Le constat, par notre fondateur Jacques DUBOIN, de la cause initiale
de ce désarroi fondamental, semblait d’abord aisé à
faire admettre. Il s’acharna, jusqu’à sa disparition, à
en instruire, à en convaincre la collectivité. Il n’avait
pas compté et nous de même, avec la passivité des
masses, leur égoïsme aussi ; mais, surtout, avec le décalage
des uns et des autres, par rapport à l’insécurité
de l’existence qui dose l’acuité de la compréhension,
la surdité ou l’aveuglement, si bien qu’avec les artifices de
la cavalerie monétaire, les tribunes « d’information »
et les tribuns politiciens, nous ne devons plus espérer vaincre
par le verbe l’état léthargique généralisé.
Constatons que si les hommes ne sont pas révolutionnaires, les
faits, eux, le sont et le demeurent. Ils nous placent de plus en plus
crucialement devant l’alternative : adapter notre mode de répartition
des biens, à notre mode de production automatisée, ou
disparaître.
Si, présentement, la tête engourdie sur le précaire
oreiller du salariat-profit, il est prématuré de s’attendre
à un sursaut de lucidité sans être devin nous pouvons
penser que la collectivité ne se suicidera pas ; quand les contradictions
se feront critiques, son instinct de conservation la poussera à
exiger, pour sa survivance, le développement des revenus qui
lui permettront de vivre.
Nos politiciens de toutes couleurs- attachés aux structures périmées
qui les justifient, restent étrangement muets sur la nécessité
de la création des revenus que l’automatisation supprime.
Cependant, sous la Pression de l’amenuisement des revenus (« Les
millions d’hommes qui ne peuvent plus acheter, ruinent des millions
d’autres hommes qui ne peuvent plus vendre.. »). s’instaure la
retraite garantie, s’amorce le revenu garanti pour le paysan et pour
l’industriel : aides, exonérations, primes à l’exportation,
achats et stocks d’Etat, se pratique le secours de la rente du rentier,
diminutions ou exonérations d’impôts, « nationalisations
» garantissant les dividendes,. Pour le salarié, le salaire
garanti s’amorce sous formes des diverses allocations de chômage
; et plus le chômage croît, plus doit croître sa prestation
pour parvenir à vendre , car, dans notre système d’économie
échangiste, la loi impérative est vendre avec profit ou
disparaître.
OU ALLONS-NOUS ?
La mesure de l’alourdissement croissant de ces créations
de revenus, en économie capitaliste, se traduit en fin de compte
par la dévaluation. Celle- ci est irréversible, elle s’accélère
à la mesure du progrès des techniques de production.
Cette course de la dévaluation pour la survie du profit et des
revenus, nous la voyons à la fois permettre profits et revenus
et les annihiler à terme, en les acheminant peu à peu
à leur point d’instabilité totale.
Au stade présent, pour ne pas être spolié de son
gain, chacun doit matérialiser son avoir : en biens, en produits,
à une cadence croissante ; la monnaie, de précieuse (thésaurisable),
se mue d’elle-même en une monnaie de consommation. Cette mutation
se fait sous nos yeux. sans nous demander la permission ; comme se firent
les adaptations précédentes de la monnaie « sonnante
et trébuchante » en billets de banque, puis en simples
écritures, sous la nécessité impérative
du rôle qui lui incombe : assurer l’écoulement de la production
en croissance.
Dorénavant, la monnaie tend vers le rapport zéro avec
son gage : l’or. Son cheminement la change de nature à notre
insu, elle prend peu à peu le rôle d’une monnaie de consommation,
mais flottante, sans garantie. Quand son degré d’instabilité
interdira toute acquisition différée, ne répondra
plus à la matérialisation des salaires, anéantira
l’existence même du profit, l’unanimité se fera tout naturellement
sur l’indispensable codification d’une monnaie conventionnelle de consommation
simplement parce qu’elle sera la seule issue qui permettra aux hommes
de consommer ce qu’ils produisent.
Cette transformation décisive de la nature de la monnaie à
laquelle nous assistons va. à la fois, permettre et favoriser
le développement des revenus sociaux auquel nous accule le progrès
des techniques. Le volume de ces revenus pourra se déterminer
en fonction du volume des biens et services offerts.
Nous devons à Jacques Duboin ces analyses des mécanismes
de l’économie. Citons les grandes lignes qu’il traça de
l’Economie Distributive qui s’impose :
- 1/ Dissociation entre le travail effectué par un individu et
ses revenus,
- 2/ institution d’une monnaie non circulante remplaçant la monnaie
capitaliste,
- 3/ remise à l’Etat, devenu émanation permanente du peuple
tout entier, du monopole d’émission des moyens de paiements.
La parole des « planistes », pour la législation
de l’économie d’abondance, devra s’exprimer sur ces bases objectives,
ou bien restera du verbiage intéressé ou de la propagande
catégorielle qui nous enfonceront dans le chaos.