Le capitalisme est honnête !


par  P.-N. ARMAND
Publication : novembre 1980
Mise en ligne : 13 mai 2008

Il y a tellement de choses qui n’osent avouer leur propre nature qu’il faut reconnaître au système capitalisme les mérites qui sont les siens.

Ainsi, il énonce, sans contrainte, qu’il est capitaliste. C’est-à-dire un système économique établi sur... le capital. Tout y est prévu en faveur des individus (ou groupes d’individus) qui possèdent des capitaux. Plus l’on possède de capitaux, plus l’on est prépondérant. Les personnes ne possédant pas ou peu de capitaux ne sont pas concernées par le système capitaliste, du moins en tant que dominateurs. Elles n’ont rien à y faire. Elles en constituent en quelque sorte les scories, les déchets. Et les déchets, ça s’élimine.

Si néanmoins, ces déjections se maintiennent, c’est par une sorte de défaillance du système capitaliste. Défaillance, qu’il serait sans doute difficile de qualifier de « défaillance sentimentale ». Les non-nantis n’ont aucune place. On pouvait estimer, autrefois, que les individus dépourvus de capitaux présentaient quelque utilité en étant producteur de « travail », lequel ajouté à la valeur brute conférait une plus-value à la matière manufacturée. Mais cette activité secondaire perd toute apparence de validité avec l’intrusion du machinisme d’abord, de l’automatisation, de l’informatique, de la bureautique, etc., ensuite. Le seuil où le capitalisme se suffit à lui-même est atteint.

« Vision », mensuel du milieu des affaires, de janvier 1977, écrit sous le titre : « Pour le grand jeu sur les marchés à terme » : « Si la spéculation n’existait pas sur les marchés de matières premières, l’industrie devrait l’inventer, car elle permet de réduire les risques des entreprises. Où le danger commence, c’est avec l’entrée dans le jeu des amateurs ou opérateurs oui se contentent d’aller à la pêche aux bénéfices. » Il ajoute : « Lorsque dans les années 30, au Brésil, on brûlait du café dans les locomotives. c’était une époque où l’offre des matières premières ressemblait à une inondation. De tels épisodes, même bien lointains, ont marqué l’opinion publique, qui continue, bien souvent, à ne pas comprendre la réelle utilité des fameux « marchés à terme. »

Cette « vision » n’est-elle pas loyale ? Comment exprimer plus clairement que spéculer (faire des achats dans le but de retirer du marché des matières ou produits, de les immobiliser, afin de raréfier leur présence, puis de les vendre, progressivement, en divers temps et lieux, aux plus hauts cours atteints) est un « jeu » normal. Seule restriction « que des amateurs » ne viennent pas s’en mêler : restons entre capitalistes conscients (sinon consciencieux) et bien organisés.

Brûler du café dans les locomotives serait impossible aujourd’hui. Les réseaux sont électrifiés. Mais l’on fait mieux. La production est artificiellement rationnée au départ. S’il y a trop de blé, de lait, de beurre, de sucre, de moutons, etc., c’est que le marché a été mal conditionné. On va s’employer à ce qu’il n’en soit plus de la sorte. Le grand souci semble être de faire entendre à « l’opinion publique  » ce qu’est le Grand Mystère des fameux « Marchés à terme ». C’est encore une nouvelle fois, très honnête, car lorsque les dépourvus de capitaux saisiront les mécanismes des « Marchés à terme » et autres manigances capitalo-financières qui les asservissent, ils n’auront plus qu’une pensée, celle de se débarrasser de l’engeance et d’adopter un régime humain roboratif et... distributif.


NOTE DE LA RÉDACTION

Voici que ces « amateurs » s’organisent : ils commencent à lancer des invitations pour participer à leur Jeu, prenant position à la hausse ou à la baisse. On trouve de tels poulets maintenant dans sa boîte à lettre, en provenance de certaine CICOMAP (avenue Marceau, à Paris) « compagnie internationale de commissions sur les matières premières ». Et il en est bien d’autres...