À M. Daladier, président du Conseil des ministres, Paris,
Publication : 25 avril 1939
Mise en ligne : 12 mai 2008
Nous recevons d’un de nos amis de Villemomble une lettre qui a été envoyée au président du Conseil des ministres, revêtue de la signature d’une trentaine d’anciens combattants authentiques (nous disons authentiques, car ils ont fait suivre leur signature du numéro de leur carte de combattant).
Nous la reproduisons ci-dessous, estimant qu’elle résume complètement ce que nous disons déjà depuis plusieurs années :
Anciens combattants comme vous, les soussignés, se souvenant de la fraternité qui, au front, les unissait en dehors de toute conception idéologique pour la défense du droit et de la liberté, et de la rude franchise qui, entre eux, en était la conséquence,
Ont estimé qu’en présence des dangers de plus en plus graves qui menacent notre pays, à l’intérieur comme à l’extérieur, ils avaient le droit d’abandonner toute réserve protocolaire à l’égard d’un ancien camarade de guerre devenu chef du gouvernement,
Et, en conséquence, rompant avec les flatteries des thuriféraires dont vos services ont exalté l’esprit de sacrifice, en des communiqués dont la fréquence paraît s’être ralentie depuis quelques jours,
Les anciens combattants et mutilés soussignés ont décidé de vous faire parvenir l’ordre du jour suivant, adopté par des hommes qui, venant d’horizons politiques différents, ont pu sans peine faire l’unanimité sur son texte :
ORDRE DU JOUR
Considérant que le devoir d’un gouvernement, quel qu’il soit, est d’assurer le droit à la vie de tous ses ressortissants, leur permettant ainsi, par voie de conséquence, d’assurer le droit à l’existence et la pérennité de la collectivité nationale ;
Estimant que, dans ce but, les vraies richesses d’un pays doivent en tout premier lieu contribuer à faire disparaître la misère, puis à élever le niveau d’existence de ses habitants ;
Constatant d’autre part, que la principale, sinon l’unique source des conflits internationaux qui menacent et menaceront encore la paix du monde réside dans un déséquilibre économique provenant d’un mode défectueux de répartition des matières premières ;
Se révoltent de plus en plus à la pensée que des milliers d’êtres et en particulier d’enfants, sont dans notre propre pays en état de sous-alimentation, cependant qu’on détruit des récoltes soi-disant trop abondantes en dépit des mesures de limitation décrétées ou votées depuis 1935 ;
S’insurgent contre le gaspillage de milliards de francs employés à la dénaturation du blé, aux primes d’arrachages des vignes, à la distillation des du blé, du vin, au contingentement du sucre, et à autres monstruosités rendues légales avec l’accord plus ou moins conscient de tous les parlementaires, cependant qu’on pleure hypocritement sur le sort des vieux travailleurs en prétendant manquer d’argent pour l’octroi d’une retraite qui ne soit pas une aumône ;
S’indignent de voir que la guerre est côtoyée à chaque instant pour des raisons que connaissent les gouvernements et que commencent à voir les peuples parmi lesquels naît l’idée qu’il serait simple et humain de rendre cette catastrophe complètement sans objet en donnant aux nations qui en manquent les matières premières dont la production est ou détruite, ou contingentée, ou freinée par les trusts internationaux et les ententes industrielles avec l’appui des gouvernements.
Les anciens combattants soussignés vous demandent en conséquence :
1° D’abroger les décrets-lois de misère, les vrais, c’est-à-dire ceux qui, sans que vous vous en doutiez organisent la faim, la misère, le taudis, le crime, la tuberculose, etc…, et parmi lesquels il faut citer les suivants qui déshonorent la France :
(Suit la liste des principaux décrets dont l’énumération a paru dans le n° 65.)
Distillation des pommes et poires excédentaires. (Décret du 12 novembre 1938) ;
Aggravation des mesures de limitation des emblavements. (Même décret.)
Et toutes autres mesures du même genre touchant les agrumes, les tomates, etc…, de notre Empire français qui sont un défi au bon sens et à votre slogan : « Remettre la France au travail. »
2° De crier au monde entier, par le moyen des ondes, que le peuple français est prêt à apporter sa contribution à une paix constructive en faisant apport à une véritable société des nations des matières premières qu’il a en excédent de sa consommation réelle, ce qui fera au moins l’économie des frais de destruction, invitant en même temps tous les autres peuples démocratiques à en faire autant au cours d’une conférence internationale proposée déjà par le président Roosevelt, à titre de prélude, à une conférence mondiale au cours de laquelle les États totalitaires, mis au pied du mur, se verraient offrir autre chose que des barrières armées et des rodomontades patriotiques dont ne profitent que Schneider, Krupp, Vickers, l’Union Européenne, la Banque Anglo-Tchécoslovaque et l’Anglo International Bank.
Et vous adjurent, vous ancien combattant, vous qui, à Évreux, le 30 novembre 1936, déclariez : « Nous sommes à une époque où le monde a été transformé. La science a fait éclater la nature. Le problème, c’est celui de la répartition de l’abondance, de la distribution des produits », de ne pas reculer, si cela était nécessaire, devant le remplacement du régime capitaliste par un nouveau régime économique qui, prolongeant l’esprit des principes immortels de la Révolution française, rendrait à notre pays, vers lequel se tournent les espérances de tous les autres peuples, son rôle de libérateur de l’humanité.